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LA PÊCHEUSE D’AMES.

« Que pourrais-je bien faire maintenant ? Je suis incapable de dormir.

— Prenez un peu d’eau gazeuse. »

Soltyk se mit à rire, puis sonna et ordonna de seller son cheval arabe. Quelques minutes plus tard, il s’élançait à travers la nuit claire et froide. Cependant le jésuite restait assis devant ses Pères de l’Église et souriait comme un homme heureux, en prenant avec délices une prise de son excellent tabac d’Espagne.

Le lendemain, dans la matinée, il vint en cachette chez M. Oginski, et, fort content de lui-même, il annonça la visite de Soltyk. Anitta ne fut pas peu surprise lorsque sa mère, après le dîner, fit une inspection méticuleuse de sa toilette, et la baisa ensuite au front avec une expression d’orgueil.

Quand l’équipage du comte arriva devant la porte, la chère jeune fille était dans le jardin avec Livia et ne se doutait de rien. Soltyk vint accompagné du jésuite. Après qu’on eut échangé quelques mots de politesse, il demanda où était Anitta.

« Elle joue sur la prairie avec une amie, dit Mme Oginska, c’est encore une enfant, monsieur le comte.

— Nous pourrions bien faire une petite promenade, proposa le P. Glinski.

— Certainement. »

Le comte aida Mme Oginska à mettre sa mantille et lui offrit le bras pour descendre l’escalier.

« Ne vous attendez pas à des merveilles, lui chuchota-t-elle, on sait combien vous êtes difficile.

— J’ai vu mademoiselle votre fille au théâtre, répondit Soltyk, et j’ai été ravi de voir à la fois tant de beauté, de noblesse et de pureté.

— Vous êtes trop indulgent. »

Le P. Glinski marchait en avant, et quand les jeunes filles l’aperçurent, elles accoururent à sa rencontre.

« Vous allez jouer au loup avec nous ! dit Anitta.

— Une autre fois, mon enfant, répondit le père, aujourd’hui le comte Soltyk est venu ; il désire vous être présenté. »

Déjà Mme Oginska et le comte approchaient.

« Voici ma fille, dit-elle avec des yeux rayonnants ; le comte Soltyk désire faire ta connaissance… mais quel air tu as, avec tes cheveux ébouriffés et tes joues rouges comme celles d’une paysanne ! »

Anitta se tenait debout, la tête baissée, devant Soltyk ; elle