Et maintenant je ne peux pas m’empêcher de me demander en vain à moi-même ce qui m’est arrivé, ce qui m’émeut et ce que je veux.
— C’est pourtant bien simple.
— Qu’en pensez-vous ?
— Vous êtes amoureux.
— Moi ?… »
Soltyk le regarda fixement.
« Vous pourriez bien avoir raison. Comme je n’ai jamais encore été amoureux, je ne peux pas en juger. Mais c’est bien possible. Je suis agacé, mécontent, inquiet ; je me fais l’effet d’un enfant maussade.
— Dieu soit loué ! vous êtes amoureux.
— Je commence moi-même à le croire, parce que, sans motif aucun, je me sens une haine ardente contre le jeune officier qui était assis à côté d’elle, et avec qui elle causait d’une si aimable façon.
— Jadewski ? Ah ! quant à celui-là, vous n’avez pas besoin de vous en inquiéter ; il ne tire pas à conséquence.
— Je ne m’en inquiète pas non plus, répondit Soltyk ; s’il me gêne, je m’en débarrasse tout bonnement en lui brûlant la cervelle, et son compte est réglé. Mais elle, la jeune fille, Anitta ? si elle l’aime ?
— Il n’y a pas encore bien longtemps qu’elle aimait ses poupées ; en ce moment, elle aime ses amies. Ce cœur est jusqu’à nouvel ordre une feuille blanche et sans tache. Heureux celui qui y écrira le premier !
— Je veux faire sa connaissance, dit brusquement Soltyk.
— Cela ne vous sera pas difficile, cher comte, on vous recevra à bras ouverts.
— Mais c’est que depuis longtemps j’ai singulièrement négligé les Oginski.
— Vous n’en serez que mieux accueilli.
— Advienne que pourra, s’écria Soltyk, il faut que je fasse la conquête d’Anitta. À quoi me servent mon nom, mon rang, ma richesse sans cet ange ? C’est la première fois que je peux penser à donner ma main à une jeune fille sans avoir envie de rire de moi-même.
— Si vous amenez cette charmante créature comme reine et maîtresse dans votre maison, tout le monde vous enviera, » dit le jésuite.
Soltyk s’assit sur une chaise et respira profondément.