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LA PÊCHEUSE D’AMES.

dossier, et remit une lettre à Dragomira. Cette lettre venait de l’apôtre et contenait ce qui suit :

« Je t’envoie Karow, qui nous a déjà rendu de grands services ; il se mettra à ta disposition. Tu peux te confier à lui sans réserve. »

Dragomira parcourut de nouveau du regard le jeune homme qui se tenait debout devant elle avec la modestie de la force et du courage. De moyenne grandeur, taillé en athlète, dans la fleur de la beauté et de la santé, il avait de hautes bottes, un pantalon collant et une courte tunique de velours qui le faisaient paraître encore plus à son avantage. Son visage, bien dessiné, était légèrement bruni ; son nez, fin, était un peu retroussé ; il avait la bouche bien accentuée, les cheveux foncés, et des yeux bleus dont le regard vous pénétrait avec une sorte de puissance diabolique. Une autre aurait frissonné sous le calme rayon de ces yeux ou se serait sentie subjuguée pour toujours. Dragomira se dit : « Enfin ! voilà donc un homme, un associé, comme il m’en faut un. »

« Vous demeurerez maintenant à Kiew ? dit-elle.

— Oui, mademoiselle, et je vous prie de me donner vos ordres pour quoi que ce soit.

— Je vous remercie. Et… vous êtes… ?

— Je suis dompteur, attaché à la ménagerie Grokoff, qui est arrivée hier dans cette ville.

— Ah ! ça se trouve bien. Et quels animaux avez-vous dressés ?

— Je crois que je les dompterais tous. J’ai ici pour le moment un lion, deux lionnes, une tigresse, un léopard, deux panthères et un ours.

— Puis-je les voir une fois ?

— Certainement.

— Mais il faudrait que ce fût dans un moment où il n’y a personne.

— Le soir, alors, quand la représentation est finie et la ménagerie fermée.

— Je vous préviendrai par écrit. »

Karow s’inclina silencieusement.

Un hasard particulier voulût que, le soir même où Dragomira avait annoncé sa visite à la ménagerie, Sessawine vint la voir. Il avait dans l’intervalle fait la connaissance de la jeune fille. Elle lui, tendit la main et le pria de l’excuser pour quelques instants.