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LA PÊCHEUSE D’AMES.

ensuite vers le fourré du bois. Ces deux ennemies n’étaient plus à craindre ; mais la jaquette d’hermine s’approcha, s’approcha encore, lentement, à son aise, et par cela même d’autant plus menaçante. Une fois arrivée, Livia ne s’en alla pas tout de suite ; elle semblait bien décidée à faire une inspection consciencieuse. Aussi Zésim se préparait-il à être découvert et, cherchant une direction qui fût libre, calculait-il ses chances de fuite.

En attendant, la jeune fille avec son visage paisible et ses grands yeux tranquilles commençait à fureter partout devant la serre. Elle faisait son affaire sans se gêner ; elle monta tout simplement sur les paillassons. Elle parvint à celui qui abritait Zésim, sentit qu’il ne cédait pas au pied comme les autres et essaya de le soulever.

« Vous êtes là ! » dit-elle, sans s’animer le moins du monde.

Et quand Zésim bondit tout à coup hors de sa cachette et prit la fuite en franchissant la haie la plus proche, elle le regarda en souriant et ne songea pas à le poursuivre même de très loin. Cependant, Henryka vint à sa rencontre sur la prairie, et, comme il se tournait du côté du parc, Kathinka sortit à l’improviste du bosquet de sapins.

Alors commença une chasse acharnée et joyeuse, Zésim se sauvait à travers les troncs rougeâtres des sapins et des pins, par dessus les haies et les plates-bandes, au milieu des buissons et des vertes clôtures ; les jeunes filles le poursuivaient, les jupes flottaient, les nattes voltigeaient. Elles l’avaient déjà poussé dans un coin et le serraient de près, lorsque, comme un vrai loup, il s’élança brusquement à travers les broussailles et les arbustes, brisant les branches sur son passage, et se trouva de nouveau en liberté. Elles se mirent à sa poursuite en poussant de grands cris, mais elles le perdirent bientôt de vue dans le fourré, et il put se croire sauvé. Il s’arrêta dans la partie la plus sauvage du parc, reprit haleine, et, à la faveur d’un épais rideau de sapins, chercha à gagner le sentier dont il apercevait le sable blanc. Mais au moment où il s’avançait, deux bras souples l’entourèrent et une jolie voix riante, dans toute la joie du triomphe, s’écria : « Pris ! »

Zésim regarda le ravissant visage d’enfant d’Anitta, qui était maintenant si près de lui, avec ses tresses flottantes, ses lèvres rouges, et ses bons yeux brillants. Il s’oublia lui-même, vaincu par un charme plus fort que lui, pressa sur son cœur la douce et frémissante créature, et posa ses lèvres de feu sur