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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Non, nous jouerons au loup, dit Anitta, c’est plus amusant. »

Les cercles furent immédiatement accrochés aux branches de l’arbre le plus proche et les baguettes jetées sur le gazon.

« Qui est-ce qui fera le loup ? demanda Henryka.

M. Jadewski, naturellement, répondit Anitta.

— Et vous, mesdemoiselles ? demanda-t-il en débouclant son épée.

— Nous sommes les chiens, et nous chassons le loup.

— Et qu’arrive-t-il quand le loup est pris ?

— Nous avons le droit de faire de lui ce que nous voulons, s’écria Anitta, vous avez dix minutes pour vous cacher, et puis la chasse commence. Vous pouvez employer toutes les ruses pour nous échapper ; mais vous ne devez pas sortir du jardin. »

Zésim s’inclina, et les jeunes filles regagnèrent la maison en voltigeant comme une troupe de papillons. L’officier eut vite trouvé une superbe cachette. Devant la serre était un grand tas de paillassons empilés. Un de ces paillassons formait une espèce de petite tente. Zésim s’y cacha, de manière pourtant à surveiller le jardin. Ce n’était qu’un jeu ; cependant, il se sentit saisi d’une émotion particulière au moment où un rire éclatant lui annonça que les dix minutes étaient écoulées, et que les jeunes filles sortaient de la maison. Les robes claires et les jaquettes aux vives couleurs se mirent à courir çà et là, derrière les espaliers et les haies, et, quand il se vit cerné de tous côtés, le cœur commença à lui battre bien fort.

Là-bas, la personne élancée, habillée de velours violet avec de la fourrure brune, qui se dirigeait vers le bassin, c’était certainement Henryka ; Kathinka, dont la casaque rouge foncé était bordée de petit-gris argenté, se glissait comme un chat à travers les bosquets ; et ce qui brillait tout à fait au loin comme de la neige nouvellement tombée, c’était l’hermine de la jaquette de velours vert portée par Livia. Et Anitta ? Elle s’était d’abord montrée à l’entrée de la grande allée, puis elle avait disparu et on ne l’apercevait plus nulle part.

Kathinka approcha, toujours doucement et avec précaution, regarda tout autour d’elle, mais passa sans le découvrir. Zésim respira ; un meurtrier échappant à ceux qui le poursuivent, n’est pas plus soulagé qu’il ne le fut au moment où la robe s’éloignait en flottant au milieu des dahlias. Henryka s’arrêta quelque temps indécise auprès du bassin et se dirigea