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LA PÊCHEUSE D’AMES.

fermé. Pourtant, dès qu’elle sonna, un jeune garçon vint lui ouvrir la porte et la conduisit silencieusement au premier étage, dans une petite chambre de derrière, dont les fenêtres étaient bouchées avec d’épais volets de bois. Sergitsch était là et l’attendait. Il reçut Dragomira d’un air de soumission, la pria de s’asseoir sur le divan et resta lui-même respectueusement debout devant elle.

« Vous savez de quoi il s’agit ? dit Dragomira.

— Je suis au courant de tout et j’attends vos ordres. Je vous prie de me considérer comme votre serviteur, ma noble demoiselle.

— Peut-on concevoir quelque soupçon, si l’on me voit venir dans votre maison ou en sortir ?

— Pas le moins du monde, répondit Sergitsch, je suis le président de la confrérie du Cœur de Jésus. Il vient beaucoup de monde chez moi, surtout des femmes.

— Mes affaires sont-elles ici ?

— Oui, certainement. »

Il apporta la valise.

« Alors, je vous prie de me laisser seule. »

Quand Dragomira quitta la maison du marchand, un quart d’heure plus tard, comme un papillon qui a secoué la poussière diaprée de ses ailes, elle avait dépouillé tout son extérieur féminin et s’était transformée en un beau jeune homme élancé. Elle avait des bottes noires à talons hauts, dans lesquelles entrait un large pantalon de drap bleu foncé, à plis épais et bouffants. Sa longue redingote, ajustée, de même étoffe, à brandebourgs noirs, était bordée et doublée de fourrure brun-foncé. Les cheveux blonds étaient habilement ramassés sous un bonnet rond également de fourrure brune. Elle avait sur les épaules un long manteau de couleur sombre. Elle avait pris un poignard et un revolver qu’elle avait chargé avant de partir.

Elle trouva la rue devant le cabaret vide et peu éclairée. La porte qui se trouvait dans le mur s’ouvrit dès qu’elle la poussa.

Elle traversa la cour, et arrivée devant le seuil de la maison. fit entendre le signal convenu, un bref coup de sifflet. Aussitôt la cabaretière Bassi Rachelles sortit furtivement et s’approcha de Dragomira, un doigt sur la lèvre supérieure.

« Il est , dit-elle tout bas.

— Le sieur Pikturno ?

— Oui, voulez-vous lui parler ?