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LA PÊCHEUSE D’AMES.

vieux arbres moussus, par dessus les plates-bandes et les gazons, jusqu’à ce que la robe d’Anitta s’accrochât aux épines d’un rosier.

Le jeune officier la rejoignit alors d’un bond et entoura d’un bras victorieux sa taille élégante.

Elle riait de tout son cœur, et, dans cet instant d’abandon, elle semblait encore plus jolie et plus séduisante, car en elle tout était noble et distingué ; et, plus elle se laissait aller, plus se révélaient les charmes de son adorable nature.

Elle s’assit sur le banc le plus rapproché, et c’était un délicieux spectacle que de la voir reprendre haleine ; ses petites mains tenaient toujours l’épée bien serrée et ses yeux d’enfant souriaient gaiement à Zésim.

« Vous ne m’auriez pas attrapée, dit-elle enfin, sans ce vilain rosier. »

Il y avait à côté une petite prairie, dorée par les rayons du soleil, dans laquelle paissait un poney noir.

« Voilà mon Kutzig, dit la jeune fille. Papa me l’a acheté à des écuyers de cirque, parce que je l’avais pris en affection ; il me suit comme un petit chien, et il sait faire des tours de toute espèce. »

Elle poussa un cri, et le joli petit animal vint en effet immédiatement devant elle et lui flaira amicalement la main.

« Attends, mon ami, il faut montrer tes talents, dit Anitta en lui tapant sur le cou et en cueillant une baguette. Viens ! »

Elle se dirigea vers la haie la plus proche et se mit à animer le petit cheval.

« En avant ! montre ce que tu sais, hopp ! »

Le poney obéit avec un véritable plaisir et sauta à plusieurs reprises par dessus la haie. Puis Anitta lui jeta son mouchoir qu’il rapporta exactement, enfin elle le fit s’agenouiller au commandement devant elle. Elle lui donna comme récompense deux morceaux de sucre de sa jolie main.

« Il est bien dressé, dit Zésim en souriant, mais il n’y a pas grand mérite à obéir à une si charmante maîtresse ; qui donc n’aimerait à se mettre sous ses ordres ?

— Pas de compliments, sinon je vous punis.

— Je vous en prie !

— C’est bon, je vous prends au mot, s’écria Anitta avec un petit ton délicieusement hautain, nous allons voir si vous êtes aussi docile que mon Kutzig, et si vous obéissez aussi bien.