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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Zésim s’inclina sans dire un mot. La perspective de jouer le rôle de grande poupée vivante pour une jeune fille qui venait à peine de quitter ses souliers d’enfant, ne lui inspira dans le premier moment qu’un très médiocre enthousiasme. Il ne devait pas tarder à changer complètement d’avis.

La porte qui donnait sur le jardin s’ouvrit tout à coup, et une petite brunette potelée, en robe rose, un volant dans une main, une raquette dans l’autre, entra légère comme un oiseau, jeta un regard rapide et interrogateur sur le jeune officier, et s’en alla quelque peu interdite derrière la chaise de sa mère.

« Ma fille Anitta, dit Mme Oginska, et le fils de ma chère amie Jadewska, Zésim Jadewski. J’espère que vous vous entendrez et que vous vous aimerez un peu. »

Anitta fit une révérence et tendit la main à Zésim, qui la porta respectueusement à ses lèvres. La jeune fille resta alors debout devant lui, rougissante et le regard fixé à terre. Zésim, charmé, la dévorait des yeux. C’était la plus ravissante créature qu’il eût rencontrée jusqu’à ce jour. Sa jolie taille, ses formes à peine épanouies, son cou blanc et élancé, son visage rond et frais, sa petite bouche rouge et mutine, son délicieux petit nez retroussé, ses cheveux noirs allant et venant sur son dos en deux épaisses nattes, ses yeux noirs à la fois espiègles et bons, tout dans sa personne respirait la grâce et le charme irrésistibles de la jeune fille qui est presque encore une enfant.

Et quand elle leva sur lui ses aimables yeux noirs, il fut décidé dans le livre du destin que ces deux jeunes cœurs tendres et purs s’appartiendraient l’un à l’autre à tout jamais.

« Venez donc avec moi dans le jardin, dit-elle, — sa voix résonnait comme une joyeuse chanson d’alouette — je veux vous montrer mes fleurs, mes pigeons et mes chats, et mon Kutzig. Tu permets, maman ?

— Certainement ; amusez-vous, mes grands enfants ; les déceptions, la tristesse, la douleur, viennent bien assez tôt. »

Anitta passa devant, et Zésim descendit les marches derrière elle. Au bas de l’escalier elle lui prit naïvement le bras.

« Jusqu’à présent, dit-elle avec le plus ingénu sourire, j’ai toujours eu peur des officiers ; mais vous, vous ne me faites pas peur du tout.

— C’est qu’aussi vous n’avez rien à craindre, mademoiselle ; avec un seul de vos regards, vous feriez tomber toute une armée à vos pieds.