petite voiture de bois. Que je suis donc charmé de vous voir ici !
— C’est bien plutôt à moi d’être heureuse de trouver ici un si bon, un si ancien ami, reprit Dragomira en souriant.
— J’accepte « l’ami », s’écria Bedrosseff avec son rire bruyant et jovial, mais je me défends très humblement de « l’ancien ». Suis-je donc déjà gris ou délabré ? On peut, ce me semble, m’appeler un homme à la fleur de l’âge.
— Sans doute, sans doute.
— Oui, mademoiselle, sur ce point-là je ne fais pas de concessions ; comme ami de monsieur votre père, je réclame le droit de vous protéger de toute façon ; mais je ne consacre mes services à la belle Dragomira qu’à la condition de pouvoir aussi lui faire un peu la cour.
— Je vous prends au mot, dit Dragomira en lui saisissant les mains, et je vous déclare mon cavalier. »
Bedrosseff s’inclina.
« J’espère que vous serez satisfaite de moi, et maintenant j’attends vos ordres.
— Avant tout, asseyez-vous et bavardons. »
Elle l’attira près d’elle sur le sopha ; et Bedrosseff s’empara de ses mains qu’il ne lâcha plus.
« Vraiment je vous envie, dit Dragomira.
— Et pourquoi donc ?
— Parce que dans votre position vous possédez quelque chose qui nous est malheureusement inaccessible à nous autres enfants des hommes.
— Et c’est ?…
— Une bonne part de l’omniscience.
— Bah ! notre connaissance des hommes et des choses ne s’étend pas si loin que cela ; d’ordinaire la chance nous aide, et notre meilleur allié c’est le hasard.
— Mais vous savez combien les filles d’Ève sont curieuses !… Et vous, que d’événements cachés, que de secrets vous sont dévoilés ! Que de cœurs dont vous devinez les énigmes ! Vous tendez vos filets de rue à rue, de maison à maison, comme la toile d’une araignée gigantesque.
— C’est vrai jusqu’à un certain point.
— Ah ! que je serais heureuse de pouvoir un peu pénétrer dans ces mystères !
— Pourquoi pas ? Cela peut se faire. De tout temps, la police servie d’alliés ; et les femmes ont, je peux bien le dire,