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LA PÊCHEUSE D’AMES.

devenir ta femme. Puis après avoir été heureux, nous apaiserons Dieu et nous mourrons ensemble.

— Tu peux me tuer, répondit Zésim, mais jamais je ne mettrai ma main dans cette main souillée de sang ; jamais je ne presserai sur mon cœur une réprouvée comme toi. Je t’ai aimée, mais en ce moment, tu me fais horreur.

— Je vous immolerai, toi et Anitta, en expiation du sang des justes qui retombe sur vos têtes.

— Ce n’est pas nous qui sommes les coupables, répondit Zésim, c’est toi qui es la criminelle, la scélérate ! Le bras vengeur de Dieu, que tu as si souvent offensé, t’atteindra tôt ou tard.

— C’est ce que nous verrons, dit-elle avec calme ; en attendant, tu es mon prisonnier, et Anitta ne tardera pas à être en mon pouvoir. Alors j’imaginerai pour vous des tortures auxquelles on n’a pas encore songé. Ne t’attends à aucune pitié de ma part.

— Je n’ai pas peur de toi, et je ne te demanderai pas grâce, s’écria Zésim ; je suis fier de ta haine. Si je dois mourir, c’est que Dieu le veut. Je suis prêt à me soumettre à sa volonté. »

Dragomira riait. Ce rire, froid et cruel comme celui d’un démon, faisait tressaillir Zésim lui-même, malgré son courage. Il frissonnait devant cette belle enchanteresse qui avait autrefois troublé tous ses sens et exercé sur son cœur un empire despotique.

« Nous verrons si tu restes toujours aussi ferme, dit-elle avec la majestueuse tranquillité d’une souveraine qui n’est pas habituée à rencontrer de résistance ; d’abord tu éprouveras encore une fois le charme qui t’a si souvent vaincu ; et, quand au milieu des plus doux tourments, tu te traîneras à mes pieds en me demandant grâce, comme un païen à son idole, comme un esclave à son maître, Anitta verra comme je me raille de toi, comme je te repousse du pied, et comme je te livre à la mort sans pitié.

— Tu peux me torturer et me tuer ; tu ne m’aviliras pas. Je méprise ta puissance. »

Dragomira se leva et prit un fouet qui était sur une table. Au même instant Henryka se précipita dans la chambre en criant :

« Fuyez ! Ils arrivent ! Anitta à cheval, suivie de gens armés ! »

Dragomira pâlit un moment. Mais elle eut bientôt recouvré son calme et sa décision.