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LA PÊCHEUSE D’AMES.

rocher élevé, était encore fermée par une dalle de pierre.

Ils arrivèrent enfin en plein air, et se trouvèrent sur une espèce d’observatoire d’où ils apercevaient les vastes plaines de la campagne par dessus les cimes des arbres séculaires. Devant eux brillaient les cinq coupoles de l’église grecque du village de Kasinka Mala.

Tabisch fut chargé d’aller aux nouvelles. Il revint bientôt annonçant que les gendarmes avaient investi le château, mais que la route par le bois était libre.

Pendant que les agents de police et les soldats dirigés par l’employé et le jésuite enfonçaient la porte du château et pénétraient dans les bâtiments, les fugitifs se glissaient avec précaution à travers l’épaisseur du bois dans la direction du village. Non loin du village, et dans le bois même, sur une espèce de presqu’île entourée de marécages et d’eau se trouvait un autre grand rocher, où, du temps des Tartares, des gens du pays fuyant devant eux s’étaient pratiqué une retraite sûre. Dragomira l’avait fait préparer depuis longtemps déjà comme un dernier asile pour elle et ses compagnons. Seuls l’Apôtre et Mme Maloutine, qui s’était enfuie en Moldavie, connaissaient cette cachette. Là, ils étaient complètement à l’abri. On y parvenait par une porte faite d’une roche habilement dissimulée derrière les broussailles et le lierre. Cette porte ne s’ouvrait que sous la main d’un initié et se refermait derrière lui. Une galerie sombre conduisait à l’intérieur. Puis un escalier taillé dans la pierre se dressait brusquement. En haut, à droite et à gauche, s’ouvraient deux chambres ménagées dans le roc et recevant le jour par de petites ouvertures cachées sous le lierre.

Les murs et le sol étaient recouverts de tapis, ainsi que les portes et les fenêtres. Des lits formés de matelas et de peaux de bêtes, des lampes suspendues au plafond, étaient tout le mobilier. Des niches creusées dans le roc renfermaient tout ce dont on ne pouvait se passer. Quelques marches de plus conduisaient au sommet du rocher, d’où la vue s’étendait au loin sur tout le pays environnant comme du haut d’un donjon.

Peu de jours auparavant, Dragomira avait elle-même transporté secrètement en ce lieu des vivres, des armes et des munitions. On pouvait à la rigueur s’y cacher pendant plusieurs semaines et même y soutenir un siège. Les fugitifs s’y installèrent. Les deux jeunes filles prirent une chambre, Karow et Tabisch prirent l’autre. Puis Dragomira appela