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LA PÊCHEUSE D’AMES.

En vain, secoués par les angoisses de la mort, demandaient-ils grâce ; Karow et Tabisch les saisissaient l’un après l’autre et les plaçaient sur l’autel. Les prêtresses étaient là, debout, les manches retroussées, les bras nus, le fer étincelant à la main. Pendant longtemps on n’entendit que les plaintes, les sanglots, les cris de douleur des mourants. Une sorte de pieuse rage s’emparait des prêtresses pendant que le sang rouge et chaud ruisselait sur les mains. Elles poussaient des cris d’allégresse, comme des lionnes en délire, riaient aux éclats dans des transports de joie épouvantable et chantaient un hymne sauvage, un hymne de fous. C’était comme une ivresse de sang ; leurs narines s’ouvraient, leurs lèvres frémissaient, leurs yeux brillaient de l’ardeur du meurtre. L’odeur du sang mêlée à celles des fourrures qui enveloppaient leurs corps, cette atmosphère d’arène romaine semblait les enivrer. Elles ne se reposèrent pas avant d’avoir frappé de leurs mains la dernière victime, avant d’avoir achevé l’horrible hécatombe offerte au dieu de colère et de vengeance, le seul dieu qu’elles connaissaient et qu’elles adoraient.

Alors elles rejetèrent leurs couteaux, lavèrent leurs mains ensanglantées et ôtèrent leurs vêtements souillés de sang.

Un quart d’heure plus tard, ils descendaient tous les quatre, habillés en paysans, dans les souterrains du château.

Dragomira les conduisait, une torche à la main. Ils fermèrent toutes les portes derrière eux, et barricadèrent la dernière avec des barres de fer et des pierres.

Ils étaient arrivés dans une vaste salle voûtée, où l’on n’apercevait aucune issue. Dragomira désigna une pierre placée tout en bas de la muraille. Ils réunirent tous leurs efforts, réussirent à la pousser de côté ; et alors s’ouvrit devant eux un nouveau corridor souterrain que personne n’avait connu, excepté Dragomira et l’Apôtre.

Quand ils eurent passé en rampant par cette ouverture et remis la pierre à sa place, ils étaient sauvés.

Personne ne pouvait découvrir cette issue. Là devait s’arrêter toute poursuite.

Ils s’avancèrent dans une galerie spacieuse et élevée qui était taillée dans le roc et qui remontait aux temps où Mongols et Tartares, Turcs et Cosaques envahissaient, pillaient et dévastaient cette partie de la Russie.

La galerie aboutissait, à une lieue environ du château, au milieu d’une épaisse forêt. L’ouverture, pratiquée dans un