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LA PÊCHEUSE D’AMES.

« Où ? » demanda-t-elle.

Elle était à la fois calme et décidée.

« À la main droite. »

Dragomira écarta sa longue pelisse de zibeline et se mit à genoux. Puis elle retroussa ses larges manches, de manière à mettre à nu ses beaux bras. Elle hésitait encore.

« Courage ! » dit l’Apôtre.

Elle posa le clou sur la main et donna le premier coup. Un sang rouge jaillit. L’Apôtre lui souriait. Elle frappa encore trois coups et la main fut clouée sur la croix.

« À toi, maintenant, Henryka, la main gauche. »

Henryka se mit à genoux à son tour. Dragomira lui présenta le marteau et Karow un clou. Elle, d’ordinaire si avide de sang, elle qui, à la vue des souffrances des autres, éprouvait un sinistre plaisir, elle manqua le clou, tant ses yeux étaient voilés par les larmes, et frappa le poignet du martyr volontaire.

« Tu me fais bien mal, murmura-t-il, c’est encore la volonté de Dieu. »

Henryka fit un effort, respira et acheva rapidement son horrible besogne.

« Maintenant, Karow, mets le dernier clou, dit l’Apôtre. Aide-le, Dragomira. »

Elle tint solidement les pieds sur la croix, pendant que Karow enfonçait rapidement, à grands coups, un énorme clou d’abord dans les chairs et ensuite dans le bois.

« Dressez-moi, continua l’apôtre, je veux mourir, comme autrefois mon Sauveur est mort. »

Les deux hommes et les jeunes filles réunissant leurs efforts mirent la croix debout et la placèrent devant l’autel du sacrifice, auquel Tabisch l’attacha solidement avec des cordes. L’Apôtre restait calme et silencieux ; mais ses lèvres tremblantes indiquaient qu’il souffrait d’épouvantables douleurs et qu’il priait. Les autres l’entouraient muets et désespérés. Dragomira était à ses pieds, son pâle visage contre la croix ; Henryka avait caché sa tête dans le sein de Dragomira. Karow s’appuyait à la muraille ; Tabisch, à genoux derrière l’autel, priait silencieusement.

Une heure s’écoula ainsi. L’Apôtre releva tout à coup la tête.

« C’est assez, mes amis, dit-il ; il est temps de fuir. Laissez-moi.

— Je resterai auprès de toi tant que tu vivras ! s’écria Dragomira avec exaltation.