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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Le repas commença. Les coupes furent remplies ; de gais propos s’échangèrent ; personne ne songeait au sanglant spectacle qui se préparait. De joyeuses mélodies accompagnaient cette fête étrange.

L’Apôtre donna un signal. Les assistants se levèrent tous ensemble, et les frères et les sœurs se placèrent en deux longues rangées des deux côtés de l’autel. La table fut rapidement enlevée. Les trompettes retentirent de nouveau, et ce fut comme un cortège de bacchantes et de corybantes qui se précipita dans la salle. En tête s’avançaient de belles jeunes filles, chaussées de sandales dorées et vêtues de longues robes blanches à franges d’or. Les épaules et les bras nus, elles avaient des guirlandes enlacées dans leurs opulentes chevelures, et jouaient de la flûte et des cymbales. Une deuxième troupe, avec des peaux de panthère autour des épaules et des thyrses dorés dans les mains, chantait et dansait. Venaient ensuite les pénitentes avec les pieds et les bras nus, vêtues de sombres peaux de bêtes, coiffées de têtes d’animaux, ayant des cordes de soie rouge pour ceintures et brandissant des disciplines.

Les sacrificatrices étaient conduites par Henryka. Elles avaient des sandales dorées, de longues robes de soie blanche garnies d’hermine, des lis dans leur chevelure dénouée qui tombait en ondes désordonnées et brillantes sur leurs épaules. Dans leurs mains étincelait le couteau du sacrifice. Elles entouraient Soltyk. Enfin venait Dragomira, vêtue d’une robe blanche traînante et d’une pelisse rouge, garnie d’hermine et d’une richesse royale. Une tiare d’or, couverte de pierreries, couronnait sa tête fière et dominatrice.

Toutes ces jeunes filles, d’une beauté enchanteresse, tordaient leurs corps élancés et charmants dans les transports d’une danse digne des Bacchantes, pendant que leurs lèvres rouges, qui semblaient altérées de sang, poussaient de joyeuses acclamations et que leurs grands yeux brillaient d’un sourire cruel. Dragomira s’avançait pas à pas avec la majesté froide et silencieuse d’une statue de marbre et le sombre regard de la prêtresse sévère et inexorable. Quand le cortège fut devant l’autel l’Apôtre se tourna vers la croix et pria Dieu d’accepter le sang qui allait couler en expiation des péchés de celui qu’on immolait comme de ceux de l’humanité tout entière. Puis il bénit la victime et toute la communauté qui était tombée à genoux et prononça la prière du sacrifice, à laquelle tous s’unirent dans un profond recueillement et en se frappant la poitrine avec le poing.