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LA PÊCHEUSE D’AMES.

sacrifice à Dieu. Peut-être sera-ce le dernier. Chacun pourra alors s’en aller là où l’Esprit le poussera. Pour moi, je reste ici et j’attends la fin.

— Moi aussi, » dit Dragomira. Et Henryka exaltée l’entoura de ses bras, décidée à unir à tout jamais sa destinée à celle de son amie.

« Soltyk doit mourir, dit Dragomira après quelques instants de silence, je suis prête à l’offrir à Dieu, mais accorde-moi une heure pour le préparer.

— Fais ce que tu juges bon de faire, répondit le prêtre, je vais ordonner qu’on t’obéisse en tout. Je vous attends dans une heure, toi et lui, dans le temple, devant l’autel de l’Éternel que nous voulons célébrer et apaiser.

— C’est lui que j’immolerai d’abord, dit Dragomira ; ensuite ce sera le tour de Zésim et d’Anitta.

— Que le ciel te bénisse ! »

L’Apôtre partit et Dragomira se fit parer en toute hâte par Henryka. Magnifique et séduisante à la fois comme une jeune et belle sultane, elle entra dans le cachot où le comte était couché sur de la paille, fixa à la muraille la torche qu’elle tenait à la main et éveilla le malheureux qui rêvait et qui la considéra avec étonnement.

« Toi ici ? murmura-t-il, viens-tu pour te railler de moi ? Ou as-tu imaginé de nouvelles tortures ?

— Non, tu as assez expié tes péchés.

— Ne me trompe pas, ce serait trop cruel, répondit-il. Est-ce que je te comprends bien ? M’apportes-tu la liberté et la délivrance ?

— Les deux, dit-elle, mais pas comme tu l’entends, mon bien-aimé. Dans une heure tu mourras.

— Je mourrai ? Dragomira, c’est là ton amour ?

— Je t’immolerai moi-même, parce que je t’aime, et parce qu’il n’y a pas d’autre route pour aller au paradis.

— Horrible !

— Calme-toi ; nous avons encore une heure ; pendant ce temps là je t’appartiens encore.

— Et aucun espoir de délivrance ?

— Aucun.

— Et c’est toi-même qui veux me tuer ?

— Moi-même, et je crois que la mort, venant de moi, te sera douce.

— Soit ! je me remets entre tes mains. »