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LA PÊCHEUSE D’AMES.

« Pas encore converti, s’écria l’Apôtre ; essayez donc de nouveau les fers rouges. »

Le martyre recommença, mais cette fois Soltyk fut bientôt vaincu.

Il gémit, il cria, il demanda grâce, et quand son supplice cessa et qu’on lui ôta ses liens, il tomba par terre comme un corps sans vie. On le laissa étendu pendant quelque temps. Karow et les hommes s’éloignèrent sur l’ordre de l’Apôtre. Il ne resta avec le prêtre que les deux jeunes filles et la victime.

Lorsque le comte revint à lui, Dragomira et Henryka le relevèrent et le conduisirent au prêtre qui était assis.

« Écoute-moi, dit le prêtre, ma patience est épuisée. Au moindre signe de résistance ou de désobéissance que tu donnes, je te fais infliger des supplices auprès desquels ceux que tu as soufferts jusqu’à présent ne sont rien. À genoux ! »

Soltyk se jeta à ses pieds sans dire un mot.

« Tu m’as menacé, murmura l’Apôtre, esclave que tu es, moi, le représentant de Dieu, moi, ton prêtre, ton juge, ton maître ! Aussi, tu seras châtié comme un chien. »

Il le frappa au visage.

« Tiens, baise la main qui te punit ! »

Soltyk lui baisa la main.

« Prosterne-toi devant moi ! »

Le comte obéit, et l’Apôtre se mit à le piétiner comme un sultan irrité fait à son esclave indocile, comme le maître fait à son chien. Et quand il lui ordonna ensuite de baiser le pied qui l’avait foulé, Soltyk, humble et rampant comme un chien, appuya ses lèvres sur le pied du prêtre. Il était maintenant tout à fait soumis.

Dragomira ne put s’empêcher de tressaillir lorsqu’elle vit ainsi humilié et maltraité l’homme avec qui elle venait de faire le plus doux rêve de bonheur. Mais ce n’était pas de la pitié : tous ses nerfs frémissaient par l’effet d’une sensation mystérieuse, à la fois ravissement et horreur, et ce qu’elle éprouvait était tellement surhumain que lorsqu’on eut reconduit Soltyk dans son cachot, elle se prosterna elle aussi devant l’Apôtre, pour lui baiser le pied.