Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
312
LA PÊCHEUSE D’AMES.

même insuccès. Enfin il renonça à réveiller les habitants de la maison, et partit pour le cabaret Rouge. Là ce fut la même cérémonie : profond silence, aucune fenêtre éclairée, personne pour répondre.

« Évidemment ils se sont tous enfuis », se dit-il, et il retourna chez lui. Il trouva à la porte un homme vêtu en paysan qui vint à lui et lui remit une lettre.

« Qui t’envoie ? demanda Zésim avec défiance.

— Je ne sais pas.

— Qui donc t’a donné cette lettre ?

— Une jeune et jolie dame.

— C’est bien.

— Je dois rapporter une réponse.

— Alors, viens avec moi. »

Ils montèrent l’escalier ; le domestique alluma une bougie et Zésim lut la lettre, qui était de Dragomira. Elle écrivait en toute sincérité et avouait qu’elle appartenait à la secte des Dispensateurs du ciel. Elle était et serait toujours fidèle à sa doctrine comme à la seule vraie. Elle avait eu à conserver un secret sacré qui ne lui appartenait pas. Mais maintenant, bien des choses qui, dans sa conduite, avaient pu sembler jusqu’alors énigmatiques et peut-être équivoques à Zésim, allaient lui apparaître sous un autre jour. Sa foi n’était cependant pas un obstacle à ce qu’elle lui appartînt. Quand elle trouverait l’occasion de lui expliquer tout, il lui pardonnerait tout. Elle l’aimait, elle n’aimait que lui. S’il éprouvait encore quelque chose pour elle, il pouvait la suivre. Elle l’attendait au prochain jour, à Moscou, où il lui fallait se tenir cachée. Elle lui ferait connaître le reste, dès qu’il lui aurait répondu qu’il l’aimait encore et qu’il consentait à aller la rejoindre pour fuir avec elle à l’étranger.

Zésim répondit ce qui suit :

« Tout est découvert. Le devoir de quiconque a encore des sentiments humains est de se déclarer contre une secte qui, guidée par le désir du meurtre et la soif du sang, menace la société. Vos compagnons sont poursuivis. Si je vous épargne, c’est parce que je vous ai aimée, et parce que je crois que vous n’avez pas conscience des crimes que vous avez commis. Je regarde votre participation à ces horribles forfaits comme une aberration morbide. Vous, personnellement, n’êtes pas pour moi une criminelle, mais une folle abusée par des hypocrites et des fanatiques. Vous comprendrez que je ne réponde pas à