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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Kachna ne tarda pas à sortir, vêtue d’une grande pelisse en peau de mouton et tenant un éclat de pin allumé. Elle pouvait toucher à la cinquantaine, mais elle était encore fraîche et rose comme une jeune femme. De grande taille, de noble tournure, elle avait une belle tête imposante, une riche chevelure brune et de grands yeux brillants et fins de la même couleur que les cheveux.

« Où est-il ? demanda-t-elle.

— Ne fais pas de bruit, lui dit Tarass à l’oreille, il s’agit d’une affaire très grave ; M. Jadewski a enlevé une demoiselle qu’il aime et que ses parents ne veulent pas lui donner pour femme.

— Mon Dieu !

— Elle restera quelque temps cachée chez toi, et personne ne doit savoir qu’elle est ici, personne.

— Je comprends. »

Elle s’approcha de la haie, ouvrit la porte et le traîneau entra.

« Que Dieu te garde, Kachna !

— Que le ciel te bénisse, mon enfant ! » répondit-elle.

Zésim sauta à terre et la serra dans ses bras ; elle le prit sans plus de façons par la tête et lui donna un baiser. Puis ils entrèrent dans la maison.

« Voilà donc ta future ? dit la nourrice en regardant Anitta avec admiration. Dieu ! qu’elle est jeune et qu’elle est belle ! une vraie enfant ! tu es toute gelée, ma tourterelle. Oh ! pauvre petite âme ! par une nuit pareille te faire sortir de ton nid bien chaud et t’emmener à travers le froid glacial et la neige ! »

Kachna alluma du feu en hâte et fit du thé, pendant que les amants parlaient de ce qu’il y aurait à faire. Zésim insistait pour que le fidèle Cosaque restât auprès d’Anitta afin de la protéger, et celle-ci finit par y consentir, bien qu’elle fût très inquiète à l’idée que Zésim s’en retournerait seul à Kiew. Finalement, l’intrépidité du jeune homme la tranquillisa. Quand il se fut réchauffé avec un verre de thé, ils se dirent adieu dans un long baiser, puis Zésim s’arracha à la douce étreinte d’Anitta, sauta dans le traîneau et partit. Il revint heureusement à Kiew, éveilla son domestique et se rendit avec lui à la maison où Dragomira avait demeuré jusqu’alors. Il la trouva silencieuse et sans aucune lumière, et sonna à plusieurs reprises sans qu’on ouvrit. Il frappa et appela :