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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Dragomira passa dans une autre chambre, et Henryka fit signe à Soltyk d’entrer.

« Où est-elle ? demanda-t-il quand il vit Henryka seule.

— Là. »

Elle lui montra la portière qui cachait la porte par où Dragomira avait disparu et se glissa dehors, silencieuse et souple comme un serpent.

Soltyk souleva la portière et s’arrêta tout ébloui.

Dans une chambre de moyenne grandeur transformée en une sorte de pavillon turc par des tapis et des tentures de Perse qui recouvraient les murs, les fenêtres, les portes et le plafond, et éclairée par une lampe à globe rouge suspendue au milieu de la pièce, Dragomira, sous un riche baldaquin, était étendue sur de grands coussins de soie et des peaux de tigre et lui souriait. Avec ses pantoufles turques, sa pelisse brodée d’or comme en portent les femmes du harem ; dans sa pose molle et nonchalante au milieu de ses royales fourrures d’hermine ; les cheveux, le cou et les bras ornés de sequins et d’anneaux d’or, elle ressemblait à une jeune sultane qui attend son esclave. Le comte était tout tremblant ; son cœur palpitait quand il entra dans ce petit sanctuaire baigné d’une lumière rosée et embaumé d’un enivrant parfum de fleurs.

Il tomba silencieusement aux pieds de Dragomira.

« Oh ! comme tu es belle ! » murmura-t-il.

Elle souriait toujours. Elle sortit lentement ses bras adorables de ses larges manches d’une gaze étincelante comme le soleil et vaporeuse comme des flocons de neige, et elle l’attira contre sa poitrine.

Puis ce furent de nouveau des baisers sauvages, des baisers de feu, comme en donne non pas une femme mais une tigresse. Soltyk s’affaissa et appuya ses mains sur son cœur.

« Qu’as-tu ? demanda-t-elle.

— J’ai senti… c’était comme si tu avais des griffes aux mains et comme si tu voulais m’arracher le cœur », répondit-il.

Elle se mit à rire.

Il releva sa belle tête et la contempla longuement ; puis il se pencha et porta à ses lèvres le bord de sa pelisse. Elle se redressa brusquement, jeta sa pantoufle et lui posa son pied sur la nuque.

Il se laissa faire avec bonheur et murmura comme dans un rêve des vers où un amant suppliait sa maîtresse de mettre son pied nu sur le cou de son esclave.