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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Henryka éclata de rire.

« Comme vous me connaissez peu ! Si vous pouviez lire dans mon âme, vous seriez étonné et peut-être effrayé… »

Cependant Dragomira était descendue dans la chambre du rez-de-chaussée, où l’Apôtre l’attendait. Il la regarda avec surprise. Elle était debout, le voile blanc autour de la tête, enveloppée jusqu’aux pieds d’une longue pelisse rouge garnie de zibeline, le front haut et fier, ses grands yeux brillants attachés sur lui. Ce n’était plus l’humble écolière, la pénitente tremblante d’autrefois ; c’était la femme, belle, souveraine, ayant conscience de son pouvoir.

« Tu étais dans une situation difficile, dangereuse, dit-il ; tu t’es montrée prudente et courageuse comme toujours. C’est toi, toi seule qu’il faut remercier si tous ceux des nôtres qui étaient à Kiew ont pu se sauver à temps. La récompense de Dieu t’est assurée.

— Mais il faut que tu en envoies d’autres sur-le-champ à Kiew, répondit Dragomira avec calme ; choisis des hommes décidés, des hommes de confiance. Nous avons besoin de savoir ce qui se passe là-bas.

— Sergitsch est encore dans la ville.

— Ce n’est pas assez, continua Dragomira, il faut tendre un nouveau filet autour de Zésim et d’Anitta ; ne les laissons pas échapper.

— Je vais m’en occuper. »

L’Apôtre abaissa les yeux vers le sol et garda le silence. Au bout d’un instant, il les releva, observa Dragomira d’un air interrogateur et se mit à sourire.

« Tu as épousé Soltyk ?

— Oui.

— Pour me le livrer d’autant plus facilement pieds et poings liés ?

— Oui, mais pas tout de suite.

— Pourquoi ?

— Parce que je l’aime, répondit fièrement Dragomira ; il m’appartient, personne ne peut me le disputer ; il est mon époux. Ne crains pas que je faiblisse et que je cherche à le sauver ne crains pas que je te le garde longtemps. Tu l’auras, et bientôt, mais pas avant que je ne le veuille moi-même.

— Tu as l’intention de rester ici, à Okozyn, avec lui ?

— Oui.

— Alors, agis comme bon te semble.