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LA PÊCHEUSE D’AMES.

long corridor garni de tapis et orné de tableaux. Au bout du corridor était une porte qu’ouvrit Henryka. Ils entrèrent dans une vaste salle dont la décoration était à la fois riche et antique. Dans la cheminée brûlait un bon feu. Un candélabre placé sur cette cheminée éclairait toute la salle. Henryka s’assit sur un petit fauteuil, et, les pieds étendus sur une peau d’ours, regarda le comte qui allait et venait d’un pas agité, avec une sorte de curiosité farouche.

« L’amour vous fait oublier d’être galant, à ce qu’il paraît, finit par dire Henryka en faisant une moue railleuse et en montrant ses petites dents blanches.

— Pardonnez-moi, Henryka, répondit Soltyk ; il me semble que j’ai la fièvre.

— Je le vois bien. Il vous tarde de sentir le pied de Dragomira sur votre cou orgueilleux.

— C’est vrai.

— Est-ce que vous serez si heureux que cela ?

— Si vous aimez un jour, Henryka, vous me comprendrez.

— Oh ! je suis déjà un peu amoureuse.

— En vérité ?

— Oui, et de vous.

— Vous raillez, Henryka ?

— Je ne raille pas. J’ai prié, et prié sérieusement Dragomira de vous laisser à moi ; mais elle n’a pas voulu. Il faut dire qu’un si beau coup de filet ne se fait pas tous les jours.

— Je ne vous comprends pas.

— Vous me comprendrez bien assez avant qu’il soit longtemps.

— Qu’avez-vous, Henryka ? vous êtes étrange.

— Jouissez de votre bonheur, et ne faites pas de questions ; enivrez-vous de votre félicité ! L’heure viendra où vous m’appartiendrez aussi, à moi aussi bien qu’à elle. Oh ! comme je me réjouis à l’idée de ce moment où vous tremblerez à mes pieds et où je n’aurai aucune pitié de vous !

— Vous me croyez donc toujours frivole et sans foi ?

— Non, ce n’est pas là ma pensée.

— Alors qu’est-ce ?

— Vous le saurez quand il sera temps.

— Vous parlez par énigmes.

— Je joue avec vous, comme le chat avec la souris, voilà tout.

— Vous êtes une enfant. »