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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Kiew, mais ils tournèrent vers le sud et suivirent la route d’Okozyn par Kasinka Mala.

Le traîneau de Soltyk et de Dragomira faisait penser à une de ces gondoles vénitiennes munies d’une cabine noire fermée où les amoureux aiment à se donner rendez-vous entre le ciel et l’eau. Rapide aussi comme une gondole, il filait à travers l’océan de neige qui recouvrait le steppe.

Le plancher de la petite chambre dans laquelle les deux époux étaient étendus sur de moelleux coussins disparaissait sous de riches fourrures : d’épaisses tentures formaient autour d’eux une sorte de tente et les protégeaient contre le froid et la neige.

Pendant quelque temps ils restèrent silencieux ; puis la main de Soltyk chercha celle de sa femme. Il la trouva tiède et disposée à répondre tendrement à la pression de la sienne, sous la peau d’ours dont il avait enveloppé Dragomira.

« Es-tu heureux ? demanda-t-elle.

— Heureux d’un bonheur ineffable !

— Je te rendrai plus heureux encore, » dit-elle tout bas, en appuyant son adorable tête sur l’épaule de son mari et en lui tendant ses lèvres rouges qu’entr’ouvrait un délicieux sourire. Il l’attira contre lui et ils confondirent leurs âmes en un long baiser. Aucune parole ne sortait de leur bouche. Ils s’abandonnèrent tout entiers à cette sensation de bonheur infini qui les inondait comme une lumière et comme une flamme et qui faisait vibrer toutes leurs fibres. Au dehors, à la lueur fantastique de la lune, volaient et croassaient les corbeaux, ces messagers de mort. Ils ne les entendirent pas : devant eux étaient la vie, la joie, le bonheur.