Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/301

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
297
LA PÊCHEUSE D’AMES.

répondit Dragomira, je suis venue pour vous dire adieu, peut-être pour toujours.

— Adieu ? Et pour toujours ? s’écria Soltyk ; non, Dragomira, avez-vous oublié que rien ne peut plus nous séparer, que je vous suivrai jusqu’au bout du monde ?

— Vous ne connaissez mon secret qu’en partie, reprit Dragomira en s’asseyant sur la chaise qui était près de la fenêtre ; je ne peux pas, pour l’instant, vous en dire davantage ; aussi aurai-je de la peine à vous convaincre qu’il me faut quitter ce château, ce pays, dans une heure.

— Je n’ai besoin d’aucune preuve, d’aucune explication, dit Soltyk ; je ne vous fais aucune question. Il faut ? Vous voulez ? Il suffit. Je ne vous demande que la permission de vous accompagner.

— À quel titre ? Vous comprenez que ce n’est pas possible.

— Pourquoi non ? Comme votre serviteur, comme votre esclave.

— Ce serait encore inconvenant.

— Alors comme votre époux.

— Bien ; admettons que j’y consente. Comment voulez-vous, dans l’espace d’une heure, prendre toutes les dispositions nécessaires ?

— Il n’y a aucune disposition à prendre, répondit Soltyk, dites-moi seulement que vous renoncez enfin au jeu cruel que vous jouez ; dites que vous exaucez mes vœux les plus ardents, que vous consentez à me prendre pour époux, et le chapelain du château va nous unir à l’instant même.

— Je suis prête, dit Dragomira en attachant sur le comte un regard ferme et calme.

— Ne plaisantez pas, je vous en conjure.

— Je ne plaisante pas, continua Dragomira, je veux au contraire que vous donniez immédiatement les ordres nécessaires. Je veux dans un quart d’heure être comtesse Soltyk, et, en descendant de l’autel, monter aussitôt en traîneau et partir avec vous.

— Dragomira ! Je n’y puis croire ! s’écria le comte en se jetant à genoux devant elle. Vous… vous êtes à moi et pour toujours !…

— Pas un mot de plus, hâtez-vous ; faites venir le chapelain, ordonna Dragomira en repoussant le comte, relevez-vous ; obéissez. »

Soltyk sonna, donna ses ordres à son valet de chambre de