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LA PÊCHEUSE D’AMES.

entre les mains de ses ennemis. Cette lettre était rédigée de façon à avertir Zésim des intentions de Dragomira, et à le tromper ainsi que tous les autres sur l’endroit de sa retraite. Elle chargea un messager à cheval de porter immédiatement cette lettre à la ville ; et elle était sur le point d’aller retrouver Soltyk, quand Henryka et Karow entrèrent.

Ils avaient tous les deux des costumes de paysans, et étaient pâles, émus et épuisés de fatigue, Henryka tomba sur une chaise sans pouvoir dire un mot, tandis que Karow, à mots précipités, informait Dragomira que tout était découvert, que la police se mettait en mouvement et était sur leurs traces.

« Je le sais, répondit tranquillement Dragomira ; votre avis ne pourrait guère nous servir à cette heure. Dieu m’a protégée ; et grâce à lui, j’ai pu les avertir tous à temps et les sauver. Je ne crois pas qu’en ce moment un seul des nôtres soit encore en danger. »

Karow regardait avec admiration la courageuse jeune fille, si sûre de la victoire.

« Mais qui vous garantit, dit-il, que vous-même êtes ici en sûreté ? Pensez avant tout à votre propre salut. À vous seule vous valez plus que nous tous ensemble.

— Je sais que je n’ai pas de temps à perdre, dit-elle doucement, mais je ne quitterai pas ce château avant d’avoir accompli ma tâche. Je veux, cette nuit même, emmener le comte avec moi comme mon prisonnier.

— Disposez de moi, répondit Karow, en s’inclinant respectueusement devant elle, je suis entièrement à vos ordres.

— Moi aussi, dit Henryka, qu’y a-t-il à faire ? Quel rôle comptes-tu me confier ?

— Ici, il n’y a que moi qui puisse d’abord agir, dit Dragomira ; je vais le trouver à l’instant même. Ne vous éloignez pas, pour le cas où j’aurais besoin de vous. »

Quand Dragomira entra dans le cabinet du comte, il était debout près d’une fenêtre, et plongeait son regard dans la nuit sombre. L’épais tapis de Perse étouffait le bruit des pas. Il ne l’entendit point et ne la vit que quand elle lui posa la main sur l’épaule. Il se retourna vers elle tout surpris.

« C’est vous ! dit-il d’une voix balbutiante et en appuyant ses lèvres sur la main de la jeune fille. Si tard ? je ne vous attendais plus.

— C’est une heure sérieuse que celle qui m’amène vers vous