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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Elle se leva et alla à la fenêtre :

« Va, je sais maintenant ce que j’ai à attendre de ton amour. Un amour sans confiance n’est qu’une ivresse ; il n’est pas digne d’un nom si noble, si saint.

— Il faudrait que j’eusse perdu le sens pour avoir plus longtemps confiance en toi ! » s’écria Zésim.

Dragomira n’était pas préparée à cette résistance, mais en une seconde elle conçut un nouveau plan. Il lui fallait s’emparer de Zésim à l’instant même, si elle ne voulait pas le perdre pour toujours ; il fallait le garder comme prisonnier pendant quelque temps, jusqu’à ce que les accusations dont Soltyk était la cause eussent perdu toute raison d’être.

Elle n’avait peur de rien, et tout moyen qui la conduisait à son but lui paraissait légitime et bon.

« Et si je te donne des preuves de mon amour ? dit-elle en se tournant tout à coup vers lui ; si je me mets complètement en ton pouvoir ? »

Zésim la regarda fixement, il ne comprenait pas encore.

« Je ne peux pas te recevoir ici, continua-t-elle, nous y sommes entourés d’espions. Mais j’ai une amie intime qui habite, à elle seule, une maison dans le faubourg. C’est là que je t’attendrai ce soir. Veux-tu ? »

Zésim se jeta à ses pieds et couvrit ses mains de baisers.

« Veux-tu venir ?

— Oui.

— Alors, à dix heures, ce soir, trouve-toi dans la rue. »

Elle lui nomma la rue et lui décrivit la maison.

« Une personne de confiance sera là et te conduira auprès de moi.

— Pardonne-moi, » dit Zésim d’une voix suppliante en se relevant pour serrer Dragomira sur sa poitrine. Elle souriait, au milieu de ses baisers, avec la charmante pudeur d’une fiancée.

Quand Zésim fut parti, elle envoya Barichar chez la juive. Bassi vint en prenant toutes les précautions nécessaires, et Dragomira s’enferma avec elle dans sa chambre.

« Cette nuit, dit Dragomira, il faut s’emparer de Jadewski, le jeune officier que tu connais, et le mettre pour quelque temps hors d’état de nous nuire.

— S’il n’y a pas de sang à verser, vous pouvez vous en remettre à moi, répondit la juive.

— Je l’attendrai. Tu seras dans la rue et tu me l’amèneras.