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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Personne ne portera la main sur toi, répondit l’apôtre, c’est Dieu lui-même qui décidera si tu es suffisamment préparé pour aller dans l’autre monde, ou si tu as besoin d’une plus longue pénitence sur cette terre. »

Dragomira fit un signe aux deux jeunes paysannes, qui saisirent aussitôt Tarajewitsch et le traînèrent par un corridor faiblement éclairé dans une autre vaste salle voûtée, dont une des parois était une massive grille en fer.

Pendant que les jeunes filles débarrassaient promptement Tarajewitsch de ses liens, Karow ouvrit une porte pratiquée dans la grille, et quatre bras vigoureux poussèrent la victime dans un réduit complètement obscur.

La porte se referma. Deux torches allumées furent fixées à la grille. La lueur rougeâtre de ces torches permit de voir les magnifiques tigres et panthères qui étaient couchés tout autour de la vaste cage.

Tarajewitsch était debout au milieu des bêtes féroces, comme un martyr chrétien dans l’arène au temps des empereurs romains. Les animaux se tinrent d’abord tranquilles, mais lorsque Tarajewitsch commença à invoquer Dieu à haute voix et à demander grâce, ils se relevèrent lentement, allongèrent leurs membres élastiques et dirigèrent sur lui le regard sinistre de leurs yeux ardents.

« Je veux entrer, » dit Dragomira à Karow.

C’est en vain qu’il essaya de la retenir. Elle fit ouvrir la porte de la cage, et s’avança au milieu des animaux, un revolver dans une main, une cravache en fils de métal dans l’autre.

« Éveillez-vous, dormeurs, en avant ! Faites votre devoir ! » s’écria-t-elle d’une voix retentissante et impérieuse.

En même temps elle frappait les bêtes de toutes ses forces. Celles-ci, d’abord effrayées, reculèrent ; puis elles se mirent à grincer des dents, à agiter leurs queues et enfin poussèrent un bref et rauque rugissement. Dragomira frappa de nouveau le grand tigre avec sa cravache. Au lieu de se précipiter sur elle, il se sauva comme un esclave poltron devant son regard dominateur jusqu’à la grille et se jeta sur Tarajewitsch au premier mouvement de terreur que fit le malheureux. On entendit un cri épouvantable, et les autres bêtes suivirent l’exemple du tigre. On ne vit plus alors qu’un monceau de corps qui roulaient sur le sol, dans une mare de sang fumant ; d’atroces cris de douleur sortis d’une poitrine humaine