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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Zésim eut bien vite oublié ses doutes et sa colère. Il tomba encore vaincu aux pieds de Dragomira et lui jura de nouveau amour et fidélité. Quand il fit noir, elle le renvoya, et il s’en alla cette fois sans lui adresser de reproches, le soleil et le printemps dans le cœur, une chanson sur les lèvres.

Quelques instants après, Dragomira partait en traîneau. Doliva l’attendait avec un cheval dans le voisinage de la maison où elle avait fait apparaître à Soltyk les ombres de ses chers morts. Elle sauta en selle et s’élança au galop à travers la nuit, le froid et la neige. Elle ne vit pas qu’elle était suivie de loin par une sombre figure, un cavalier qui avait quitté Kiew en même temps qu’elle.

À Myschkow, Henryka et Karow l’attendaient.

« S’est-il soumis ? demanda Dragomira.

— Oui, répondit Henryka, mais seulement après que je l’ai fait fouetter.

— Tu y as encore trouvé un plaisir diabolique, Henryka.

— Non, je n’ai songé qu’à sa pauvre âme.

— Je te connais trop. »

Dragomira fit un signe à Karow et descendit avec lui et Henryka dans les souterrains du manoir, devenus le sanctuaire d’une épouvantable idole et le temple où d’extravagants fanatiques adoraient leur dieu. Quand ils entrèrent dans l’étroite salle voûtée où Tarajewitsch était étendu sur de la paille, les deux servantes du temple, vêtues en paysannes, entrèrent aussi. L’une fixa une torche allumée au crochet de fer planté dans la muraille. L’autre détacha les chaînes et délia le prisonnier. Tarajewitsch, à la fois surpris et épouvanté, contemplait Dragomira qui s’approcha, les bras croisés sur la poitrine, et qui attacha sur lui le regard sévère et menaçant de ses beaux yeux.

« Vous vouliez, dit-elle, faire sortir Soltyk de la voie du salut que je lui ai montrée, pour l’entraîner de nouveau dans les ténèbres du vice. Le ciel vous a puni. Vous vouliez me perdre, à présent vous êtes entre mes mains.

— Châtiez-moi, répondit Tarajewitsch, mais épargnez ma vie ; vous me l’avez promis…

— Je n’ai rien promis, dit Dragomira en lui coupant la parole, n’attendez de moi aucune pitié, dès qu’il s’agit du service de Dieu.

— Ce que vous voulez, c’est vous venger, reprit-il.

— Je ne suis pas une femme ordinaire qui cherche l’amour