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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Oui… à lui, votre ennemi et le mien. J’aimerais à l’avoir entre mes mains.

— Ce sera facile, Dragomira ; vous n’aurez qu’à vouloir.

— Non, je ne veux rien entreprendre contre lui ; on pourrait avoir des soupçons. Mais vous… c’est vous qui me le livrerez.

— Volontiers, répondit le comte avec un regard presque sinistre, mais comment ?

— C’est votre affaire. »

Il réfléchissait.

« Notre alliance, dit Dragomira au bout d’un instant, est donc conclue contre Tarajewitsch…

— Contre l’univers entier, dit Soltyk en saisissant la main qu’elle étendait. Comptez en tout sur moi.

— Il faut que Tarajewitsch soit mis aujourd’hui même hors d’état de nuire.

— J’ai une idée, dit Soltyk ; on peut en tirer un plan pour l’exécution de nos projets. Reposez-vous-en sur moi.

— Je veux bien.

— Et si je vous livre Tarajewitsch, qu’en ferez-vous ? »

En adressant cette question à Dragomira, il était comme aux aguets. Sa nature de Néron s’éveillait tout à coup dans son infernale grandeur.

« Je ne sais pas encore, répondit-elle.

— Dragomira sait toujours ce qu’elle veut.

— Alors, c’est que je ne veux peut-être pas le dire. »

On entendit le bruit des grelots et le claquement des fouets. Les chasseurs revenaient.

« Je vous demande bien pardon, mesdames, dit Soltyk, en baisant la main de Mme Monkony et en s’inclinant devant Henryka, nous étions absolument gelés et nous nous sommes enveloppés aussi chaudement que possible. Je ne me croirai justifié que si vous vous mettez à votre aise exactement de la même façon.

— C’est entendu ! » dit la belle Mme Monkony.

Et tous se retirèrent pour changer de costume.

Quand toute la société s’assit ensuite autour de la table richement servie, personne ne se serait douté que de ténébreuses et infernales puissances tissaient les fils invisibles et menaçants de la fatalité, au milieu de ces plaisirs brillants et de cette gaieté si naturelle.

On badinait, on riait, on causait sans souci ; et le soir arrivait, et la nuit arriva à son tour.