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LA PÊCHEUSE D’AMES.

descendre sur le sable brûlant de l’arène et de braver les bêtes féroces du désert, l’enthousiasme au cœur et l’hymne du triomphe sur les lèvres, comme jadis les martyrs chrétiens. La mort n’est effrayante qu’autant que nous la craignons. Je ris de son horreur et de ses menaces. »

À ce moment on entendit un coup de feu, puis un second. Une bande de loups arrivait, emportée par une course furibonde. Les chiens les poursuivaient et les forçaient à passer devant la ligne des chasseurs. Le comte et Dragomira leur barrèrent le chemin et firent feu sur eux ; le veneur du comte suivit leur exemple lorsque ces animaux, traqués de tous côtés, cherchèrent à s’échapper du bois. Le plus grand nombre réussit à se sauver. Trois grands loups teignirent la neige de leur sang. Les autres, poursuivis par les chiens, disparurent bientôt dans le lointain.

La chasse était terminée.

Soltyk donna un signal. Son traîneau apparut. Le comte aida rapidement Dragomira à monter, et l’attelage partit au galop pour le château. Ils étaient arrivés, que les autres, le fusil sur le bras, attendaient encore le signal qui devait annoncer la fin de l’expédition. Et quand le forestier le donna, le comte et Dragomira s’étaient déjà mis à leur aise et étaient assis en face l’un de l’autre, près de la cheminée, savourant du thé bien chaud. Ils offraient l’aspect d’un jeune couple princier des pays orientaux, tous deux beaux, tous deux fiers et dominateurs, les pieds posés sur une grande peau d’ours blanc, Enveloppé d’une longue robe de chambre fourrée, en étoffe de Perse, brodée d’or et garnie d’hermine, il avait un fez sur ses cheveux noirs et bouclés. Elle avait une kazabaïka de velours rouge ornée de zibeline dorée ; ses cheveux blonds étaient ceints d’un mouchoir de soie rouge enroulé en façon de turban.

« Nous sommes donc d’accord ? » dit-il doucement. Elle fit un léger signe de la tête.

« Ce côté de votre caractère que j’ai découvert aujourd’hui nous a rapprochés.

— Je vous répète, dit Dragomira, qu’il n’y a rien de diabolique en moi. Je ne suis pas cruelle.

— Si, vous l’êtes. Combien ce devrait être merveilleux de vous voir, si vous aviez en votre puissance un ennemi que vous haïriez !

— Fournissez-moi cette occasion.

— Vous songez à… Tarajewitsch ?