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LA PÊCHEUSE D’AMES.

« Est-ce un loup ? » demanda Dragomira.

Soltyk fit signe que oui.

La belle jeune fille se prépara. L’animal féroce fit encore deux ou trois bonds ; on vit un éclair, on entendit une détonation, et le loup roula dans son sang. Il se releva presque immédiatement sur ses pattes de devant et poussa un hurlement épouvantable.

Soltyk s’avança vers lui.

« Que voulez-vous faire ? demanda Dragomira.

— Je veux l’achever d’un second coup.

— Non, laissez-moi ! » dit Dragomira.

Et, suivie de Soltyk, elle s’approcha rapidement du loup qui mourait. D’un mouvement presque sauvage elle tira du fourreau le yatagan qu’elle portait au côté et l’enfonça dans le corps de la vilaine bête, qui montrait des dents menaçantes. Presque aussitôt le loup tombait à ses pieds et exhalait son dernier souffle.

Le comte Soltyk contemplait le beau visage de Dragomira avec un ravissement indescriptible auquel se mêlait un vague effroi. Les joues de la jeune fille étaient brillantes ; dans ses yeux étincelait une joie homicide d’une expression étrange.

« La chasse semble vous faire plaisir, dit le comte.

— Oh ! oui ! répondit-elle en mettant une nouvelle cartouche dans son fusil. Je crois qu’au fond de tout homme il y a quelque chose de divin et quelque chose de diabolique. Voilà pourquoi nous éprouvons un tout aussi grand plaisir à tuer, à anéantir, qu’à créer.

— Quels grands, quels extraordinaires sentiments vous avez !

— Découvrez-vous aujourd’hui pour la première fois que je ne suis pas une jeune fille comme on en voit tous les jours ?

— Non, certes non.

— Je ne rougis pas non plus de vous avouer, continua Dragomira, que cette manière de tuer une bête me fait moins de plaisir que la chasse à courre. Avant tout, c’est trop vite fini. Un coup de fusil, un coup de couteau tout au plus, et voilà la bête à bas ; tandis qu’autrement on jouit du plaisir de dépister d’abord l’animal, puis de le poursuivre et enfin de le réduire aux abois.

— Vous êtes cruelle.

— Non. Souffrir des supplices me paraît au moins aussi beau que d’ordonner le supplice des autres. Je serais capable de