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LA PÊCHEUSE D’AMES.

les plaines couvertes de neige. On arriva bientôt à la lisière de la forêt. On descendit et on prit les places que le forestier indiqua. Dragomira et Soltyk s’enfoncèrent dans le bois et se postèrent devant un grand chêne. Ils avaient devant eux une petite clairière, derrière eux et des deux côtés du tout jeune bois qui permettait à la vue de s’étendre au loin. Soltyk chargea d’abord le fusil à deux coups de Dragomira, ensuite le sien. À une dizaine de pas derrière eux se tenaient un veneur avec une carabine à baïonnette et un paysan avec une pique. On avait à prévoir le cas où un ours pourrait bien être rabattu, et toutes les précautions que la poltronnerie du loup rendaient inutiles, il fallait les prendre contre ce brun personnage, héros velu des solitudes.

Pendant quelque temps le silence le plus complet régna dans la forêt et sous les branches dépouillées du vieux chêne. Personne ne bougeait, personne ne soufflait mot. Dans le lointain brillait un des feux allumés par les paysans. Un grand corbeau planait dans les airs en silence, ses ailes noires étendues sur le ciel, d’un bleu éblouissant. Il disparut entre les cimes des chênes et des hêtres.

Enfin le signal fut donné ; c’était une sonnerie de trompette. Alors commença le vacarme des rabatteurs ; leurs cris retentissaient à travers la forêt, accompagnés du claquement des fouets, du bruit des grelots et du tapage des coups de bâton contre les arbres. On lâcha alors les chiens. Deux d’entre eux arrivèrent en faisant des bonds magnifiques de souplesse et disparurent dans l’épaisseur du bois. Il y eut de nouveau un court silence, puis une tête fauve se montra au milieu des feuilles sèches. Un grand renard approchait lentement, en se glissant à travers les branchages et les broussailles.

Dragomira se préparait à tirer, mais le comte l’arrêta.

« Il est défendu de tirer sur les renards, lui dit-il tout bas.

— Et pourquoi ? demanda-t-elle toute frémissante.

— Parce que les loups seraient avertis par des coups de feu prématurés ; et alors, au lieu de venir dans notre direction, ils pourraient s’échapper d’un autre côté ou à travers les rabatteurs. »

Le renard avait l’air de savoir qu’il était en sûreté, car il passa lentement, sans s’occuper beaucoup des chasseurs. Quelques instants après un grand animal gris et velu, à poils sauvages et hérissés, avec des yeux étincelants, arrivait par bonds précipités.