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LA PÊCHEUSE D’AMES.

« Laissez-nous choisir nous-mêmes ! s’écria-t-elle, et que le sort décide seulement dans quel ordre nous choisirons. »

Mme Monkony et sa fille appuyèrent vivement la proposition. Les messieurs n’avaient plus qu’à s’incliner. Henryka écrivit les noms des trois dames sur des billets, les jeta dans son bonnet et dit à Tarajewitsch de tirer.

Ce fut le nom de Dragomira qui sortit le premier. Elle choisit Soltyk. Mme Monkony fit à Tarajewitsch l’honneur de le désigner comme son protecteur, et Henryka prit Sessawine pour chevalier.

On but encore un petit verre de kontuschuwka, puis les traîneaux s’avancèrent au milieu des joyeux aboiements des chiens, des claquements des fouets et des hourras des veneurs, et toute la société se mit en route.

Mme Monkony avait un costume de velours vert et une jaquette de même étoffe, bordée et doublée de zibeline. La jupe courte laissait voir ses bottes molles, en cuir noir. Un élégant bonnet de zibeline, à la Catherine II, un fusil et un yatagan complétaient l’équipement de la séduisante amazone. Les deux autres jeunes dames étaient costumées de la même façon ; seulement Henryka avait mis avec intention sur ses cheveux noirs un bonnet de velours rouge foncé garni de renard bleu, tandis que la blonde Dragomira était coiffée d’un bonnet de velours bleu avec du skung. Chacun des trois couples prit un traîneau pour lui. Monkony et les messieurs du voisinage qui prenaient part à la chasse suivaient dans un quatrième, attelé de six chevaux et dont les dimensions faisaient penser à l’arche de Noé.

Le traîneau de Soltyk et de Dragomira représentait un dragon.

« Est-ce un hasard ? demanda Dragomira avec un fin sourire en montrant la terrible bête fabuleuse.

— Non, répondit le comte, c’est un symbole. Il convient à l’enchanteresse qui commande aux éléments et aux forces secrètes de la nature et qui fait des hommes ses esclaves.

— Le comte Soltyk ne sera jamais l’esclave d’une femme.

— Ne raillez pas ; il porte déjà votre joug et ne connaît de volonté que la vôtre.

— C’est ce que l’en verra.

— Faites-en l’épreuve.

— Pas plus tard qu’aujourd’hui, vous pouvez y compter. »

Les traîneaux, rapides comme l’oiseau qui vole, traversaient