Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
247
LA PÊCHEUSE D’AMES.

regardant Bedrosseff dans les yeux ; il me semble que je l’ai vu, mais je ne sais vraiment pas quel est son nom.

— Iwan Klutschanko.

— Est-il de Romschin ?

— Oui, de Romschin.

— Vous venez sans doute de la ville ?

— Justement. »

Bedrosseff commença alors à questionner la cabaretière.

« On nous a assignés devant le juge, dit-il ; voilà ce que c’est : Un jeune homme riche a été tué ici dans ce cabaret, et ces messieurs de la justice qui sont curieux et fourrent leur nez partout, nous ont demandé si nous n’avions pas eu vent de l’affaire.

— Comment sauriez-vous quelque chose ? dit la cabaretière, si quelqu’un pouvait déposer, ce serait moi.

— L’affaire est donc vraie ?

— Mais oui. Une nuit, un jeune gentilhomme est venu ici, de Kiew, et il est arrivé en même temps que lui une dame comme il faut, avec un voile épais sur la figure. Puis des étrangers sont entrés brusquement. Ils m’ont attachée ; ils m’ont bandé les yeux et ils sont tombés sur le jeune homme. Je l’entendais appeler au secours ; puis je n’entendis plus rien ; ils étaient tous partis à cheval. Quand ils revinrent, ils me délièrent. Ils avaient la figure noircie. Il y en eut un qui me donna une bague pour payer la dépense. »

Pendant que Bedrosseff interrogeait la cabaretière, Henryka et l’agent Mirow attendaient dans la forêt. Ils restèrent assez longtemps sans échanger une parole. Henryka avait les mains jointes et demandait à Dieu force et courage. Et, en effet, elle avait besoin de beaucoup de courage et de résolution, car, dans ce drame, c’est à elle qu’était peut-être réservé le rôle le plus dangereux.

« Il paraît que tout va bien dans le cabaret, dit enfin l’agent de police.

— Je l’espère. Pourvu que Bedrosseff ne se presse pas trop ou ne laisse pas échapper quelque mot ou quelque geste imprudent !

— Vous êtes liée avec Mlle Dragomira Maloutine ? demanda l’agent en se tournant vers Henryka.

— Oui, je la connais assez bien.

— La croyez-vous capable de prendre part à des choses comme celle qui nous occupe en ce moment ? »