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LA PÊCHEUSE D’AMES.

prêt le cheval qu’il avait sellé pour elle pendant ce temps-là. En un clin d’œil, elle s’assit sur l’animal fougueux, et franchissant la porte au galop, le lança droit à travers les champs de chaume, les prairies, les bois, en lui faisant sauter les ruisseaux et les fossés. On eût dit qu’une troupe de cavaliers fantastiques l’accompagnait dans sa course furieuse. Devant elle, dans le ciel, semblait se dresser une tête gigantesque avec une longue barbe grise qui descendait jusqu’à terre en ondoyant.

Sans se soucier des obstacles de la route, ni des formes menaçantes qui sortaient du brouillard, elle poussait toujours en avant son cheval, sous les pieds duquel tremblait maintenant le pont de bois. Enfin, rapide comme la tempête, elle arriva à Okosim.

L’ancien château des starostes polonais était bâti sur une colline rocheuse qui s’élevait brusquement de l’autre côté du Dnieper, comme si le feu d’un volcan l’avait fait jaillir de la plaine et de la forêt. Il fallait s’en approcher pour apercevoir ses tours rondes, couvertes de plaques de métal, qui maintenant dépassaient à peine les cimes des chênes et des hêtres séculaires. Une muraille d’une grande élévation entourait les bâtiments isolés ; elle se dressait immédiatement sur le haut de la pente qui descendait à pic. De cette façon, on ne pouvait parvenir à Okosim que par un côté : il fallait d’abord gravir l’étroit sentier qui serpentait à travers les rochers et les arbres, franchir ensuite le pont jeté comme dans les airs au-dessus d’un précipice, enfin passer la porte aux lourds battants de fer.

Dragomira heurta d’une certaine façon à cette porte. On lui ouvrit et elle pénétra dans l’étroite et sombre cour du château.

Un grand vieillard à la longue barbe blanche, portant un costume bleu sombre de cosaque, prit son cheval. Elle entra dans le vaste bâtiment, aux pierres noircies par les années, qui se trouvait à sa droite, suivit un long corridor voûté, faiblement éclairé et frappa à une petite porte recouverte de fer.

« Qui est là ? demanda une belle voix grave et douce.

— C’est moi.

— Entre. »

Dragomira ouvrit la porte et la ferma immédiatement derrière elle. Elle se trouvait maintenant dans une salle médiocrement grande qui produisait l’impression d’un cachot. L’unique fenêtre était fermée en bas par des planches et en haut par une