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LA PÊCHEUSE D’AMES.

propre intérêt. J’ai encore pitié de toi et de la gaîté de ta jeunesse, peut-être parce que mon cœur est encore libre, parce que je ne m’intéresse que peu à toi. Mais si tu réussissais à gagner enfin mon amour, alors tu serais perdu, Zésim. Fuis-moi, pendant qu’il est encore temps.

— Et quand il sera trop tard ?

— Alors ce sera ta destinée, et je l’accomplirai.

— Tu me donnes donc de l’espoir. »

Dragomira s’était assise dans l’un des petits fauteuils et semblait plongée dans des réflexions profondes.

« Je suis courageux, continua Zésim, la peur ne me fera reculer devant rien. Pour te conquérir, pour te conduire dans ma maison comme maîtresse, j’accepte le combat avec l’enfer tout entier.

— Oui, mais pas avec le ciel, Zésim. Il y a des puissances mystérieuses, plus fortes que nous. Le chemin que je suis conduit à la lumière à travers des tourments et des douleurs, à travers des souffrances indicibles, à travers des ténèbres pleines d’angoisse. Ne désire pas marcher sur cette route, même à côté de moi. Ah ! si je pouvais seulement parler !… Mais je n’en ai pas le droit, mes lèvres sont fermées.

— Dis-moi seulement que tu m’aimes.

— Non, je ne t’aime pas, et tu peux remercier Dieu de ce que je ne t’aime pas. »