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IX

À BAS LE MASQUE

« Oh ! tu es cruelle ! tu fais mourir tout ce qui t’aime. »
LOPE DE VEGA.

M. Oginski remarquait avec chagrin que les joues de sa fille pâlissaient de jour en jour. Elle, qui autrefois badinait, riait, chantait du matin au soir, restait maintenant toujours silencieuse et sérieuse. Il tint conseil avec sa femme qui chercha à le consoler ; mais ils furent aussi heureux l’un que l’autre, lorsque Anitta leur demanda la permission de prendre des leçons de peinture. Ils virent avec plaisir qu’elle cherchait à se distraire. Elle passa ainsi bien des matinées chez son maître, espèce de vieil original polonais. Il ne leur vint pas non plus le moindre soupçon à l’occasion des fréquentes sorties qu’elle fit le soir sous prétexte d’aller visiter le vieux peintre. N’était-ce pas Tarass, le vieux, le fidèle, le sûr Tarass qui l’accompagnait chaque fois ?

Personne ne se doutait que ces leçons notaient pour Anitta qu’un moyen d’être plus libre, et que le temps qu’elle passait hors de chez ses parents, elle l’employait surtout à observer Dragomira, de concert avec son fidèle Cosaque, et à la surveiller dans ses allées et venues.

Un soir, ils l’avaient suivie jusqu’au cabaret Rouge. Dragomira, qui se croyait espionnée par des agents du jésuite, s’arrêta subitement et vint droit à eux.

« Qu’y a-t-il pour votre service ? dit-elle en regardant Anitta bien en face. Depuis quelque temps vous êtes toujours sur mes talons. Que désirez-vous… ? »

Elle s’interrompit tout à coup.