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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— M’entends-tu, mon enfant ?

— Oui.

— Pourquoi t’es-tu détourné de Dieu ? Retourne à lui, pendant qu’il en est encore temps. Je prie pour toi auprès du Tout-Puissant. Il aura pitié de toi.

— D’où viens-tu ? demanda Soltyk d’une voix tremblante.

— De bien loin.

— Et où vas-tu ?

— Dans les sphères supérieures. Je suis emportée loin des lourdes vapeurs de la terre vers les espaces sacrés des étoiles. Adieu, mon enfant, adieu !

— Adieu ! »

L’apparition s’évanouit et avec elle la lueur mystérieuse et le parfum. De nouveau régnèrent l’obscurité et le silence.

« À quoi pensez-vous maintenant ? demanda Dragomira.

— À ma sœur. »

Soudain la lueur apparut de nouveau, et l’on eût dit qu’un jardin en fleurs exhalait tous ses parfums dans la salle. Un petit nuage était étendu sur le sol, devant le rideau. Il s’entr’ouvrit doucement et un enfant en sortit, une petite fille d’environ dix ans, vêtue d’une robe blanche garnie de rubans bleus. Elle levait d’un air joyeux sa jolie tête entourée de boucles noires flottantes, et attachait sur Soltyk ses grands yeux sombres. Elle lui tendit ses bras nus, et, avec un charmant sourire, lui cria d’une voix fraîche et mélodieuse :

« Boguslaw, tu es là ! Il y a si longtemps que tu n’as joué avec moi ! Viens, viens donc ! Il faut que je parte bientôt. »

L’effet fut tout puissant. Le comte fit deux pas en avant, tomba à genoux, se cacha le visage dans les mains et se mit à pleurer. Il sentit deux bras qui l’entouraient légèrement, comme dans un rêve où les corps n’existent pas, et deux petites mains qui le touchaient, parfumées et froides comme des feuilles de roses couvertes du givre du printemps. Un frisson lui parcourut le corps ; ce n’était pas un frisson d’épouvante, mais un doux frémissement de joie et d’espérance.

« Reste près de moi, dit-il en suppliant.

— Je ne peux pas, répondit l’apparition, mais tu as là celle qui ne t’abandonnera pas.

— Dragomira ?

— Oui. Elle te montrera la route du bonheur terrestre et celle du salut éternel. Adieu. Ne m’oublie pas. Je pense souvent à toi. »