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LA PÊCHEUSE D’AMES.

trouvait une pendule qui marquait onze heures et demie. La salle avait trois fenêtres devant lesquelles pendaient d’épais rideaux, et deux portes dont l’une donnait évidemment dans une chambre voisine.

À la muraille étaient suspendues deux images : une Mère de Dieu byzantine toute noircie et sainte Olga. Entre les deux se trouvait un crucifix.

Un rideau blanc séparait une partie de la salle de celle où étaient Dragomira et le comte.

Soltyk demanda à sa compagne ce que signifiait ce rideau.

« Il sépare le sanctuaire du monde profane, répondit Dragomira. Dès qu’il est minuit, et que les choses qui ne sont perceptibles ni pour les yeux ni pour les oreilles se font voir et entendre, cet espace qui est là devient leur asile et personne ne doit oser y mettre le pied. En ce moment, vous pouvez encore l’examiner. »

Soltyk ouvrit le rideau et vit un espace entièrement vide, des murs nus, sans fenêtre ni porte ; rien qui pût paraître surprenant ou provoquer le soupçon.

« Vous n’avez pourtant pas pleine confiance en moi, dit Dragomira lorsqu’il revint auprès d’elle.

— J’ai la sérieuse intention, l’ardent désir de me laisser convaincre par vous, répondit le comte, et voilà justement ce qui me détermine à m’enlever à moi-même tout terrain où le doute pourrait plus tard pousser des racines. »

La pendule marquait le quart avant minuit.

Dragomira laissa glisser sa pelisse et ôta son bachelick. Et maintenant, debout, dans sa longue robe de velours noir, elle avait quelque chose de surhumain, de surnaturel. Toute couleur avait disparu de son beau visage sévère ; seuls, ses grands yeux bleus brillaient d’une lueur étrange. Elle se prosterna devant l’image du Christ en croix et pria longtemps avec ferveur ; puis elle se releva subitement, saisit Soltyk par la main et l’entraîna avec elle devant la cheminée. Là, elle s’assit de nouveau ; quant à lui, il resta debout en proie à une émotion indicible.

Les aiguilles étaient sur minuit. Presque au même instant, le bruit lointain de douze coups sonnant à quelque horloge de la ville se fit entendre. Les bougies du candélabre s’éteignirent soudain d’elles-mêmes. Une profonde obscurité et un silence sinistre régnèrent dans la salle.

Quelque chose d’incompréhensible se mit alors à flotter lente-