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LA PÊCHEUSE D’AMES,

— Je me fie à vous, comte Soltyk, quoique j’aie découvert en vous aujourd’hui une mauvaise qualité, doublement mauvaise en ce qu’elle dénote de la mesquinerie et de la faiblesse.

— Quelle est cette qualité ?

— Vous êtes vaniteux, mon cher comte, vous vous donnez la peine de me plaire ; cela m’inspire de la gaieté. »

Un sourire fugitif passa sur son visage de marbre.

Soltyk était devenu rouge.

« Ah ! vous êtes cruelle, murmura-t-il, cruelle comme une belle tigresse, qui joue avec la victime dont elle est sûre.

— Oui, vous êtes vaniteux, continua Dragomira, et malgré cela, au milieu des poupées du monde, vous êtes un homme ; au milieu des masques, vous êtes une figure humaine. Aussi, je crois en vous et je me fie à vous.

— Vous le pouvez. Je n’ai pas besoin de vous dire quel pouvoir incompréhensible, surnaturel, vous avez sur moi. Vous n’êtes pas la jeune fille à qui l’on fait des aveux. Vous devinez la pensée, vous lisez les émotions sur les visages. Vous savez depuis longtemps que je vous aime.

— Oui, je le sais.

— Et savez-vous aussi combien je vous aime ?

— Oui, je le sais aussi.

— Savez-vous, Dragomira, qu’il n’y a pas un mouvement de mon âme qui ne vous appartienne, que je ne m’occupe que de vous, que je rêve de vous, que votre pensée me fait délirer ? Savez-vous que je suis prêt à tout abandonner, tout sacrifier pour vous ? »

Elle fit un léger signe de tête pour dire qu’elle le savait.

« Et savez-vous que votre froideur, votre ironie me rendent fou ?

— Mon ironie ? interrompit-elle, comment pourrais-je me moquer de votre passion, quand je veux que vous m’aimiez ardemment, follement, comme à cette heure ? Non, je ne ris pas de vous ; je me réjouis de cette flamme que j’ai allumée.

— Dans quelle intention ?

— Vous l’apprendrez.

— Pour faire de moi votre instrument ? s’écria Soltyk, soit ! Je veux vous servir ; je veux servir vos plans ; mais à une seule condition, c’est que vous serez à moi, Vous ne m’aimez pas. Vous n’avez pas de cœur. C’est bien ; je ne vous demande pas d’éprouver quoi que ce soit à mon égard ; mais dites-moi que vous consentez à devenir ma femme.