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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Qui est-ce qui m’observe ? demanda Dragomira, la police ?

— Non. On a vu à plusieurs reprises dans le voisinage de votre maison et devant celle de Sergitsch un juif qui nous est connu comme agent des jésuites.

— Le P. Glinski est là-dessous.

— Très probablement. Je ne puis que vous conseiller de rester quelque temps sans venir dans ce cabaret et sans recevoir la juive chez vous.

— Vous avez raison. Je vous remercie. »

Quand Dragomira fut sortie du cabaret pour retourner chez Sergitsch, elle entendit tout à coup des pas lourds derrière elle. Elle s’arrêta, et, lorsqu’elle eut reconnu le paysan ivre, voulut continuer son chemin. Mais une main se posa brusquement sur son bras, et deux yeux sombres et interrogateurs la regardèrent en plein visage.

« Dragomira ! » dit une voix connue.

La courageuse et fière jeune fille reprit immédiatement possession d’elle-même.

« C’est vous ? dit-elle avec calme ; dans quelle intention me poursuivez-vous sous cet accoutrement ?

— Vous le demandez ? reprit le comte ; vous ne savez donc pas encore ce que je ressens pour vous ?

— Alors vous êtes jaloux ?

— Oui. »

Dragomira se mit à rire.

« Quel est cet homme, continua Soltyk, avec qui vous aviez un rendez-vous ? On m’a dit que vous aimiez Jadewski, mais maintenant je vois que votre cœur appartient à un tout autre homme. Nommez-le-moi ; un de nous deux doit mourir. »

Dragomira rit de nouveau.

« Voici ma main. Cet homme n’est ni mon adorateur ni mon ami.

— Si ce que vous dites est vrai, je comprends pourquoi on m’engage à me défier de vous. Qu’est-ce que toutes ces relations mystérieuses ? Quel est ce secret que vous mettez tant de soin à cacher, au monde et à moi ?

— Cela m’a tout l’air d’un interrogatoire. Mais qui vous dit que je sois disposée à vous répondre ? On vous avertit de vous défier de moi ? Vous ai-je jamais demandé de vous fier à moi ? Ai-je pris la peine de vous lier à moi ? Vous êtes libre ; allez-vous-en, je ne vous retiens pas.