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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Dragomira montra du doigt le ravisseur sans dire un mot. Zésim le visa et tira. Au moment où la fumée se dissipait, l’autour mourant tombait à terre, les ailes étendues, et près de lui gisait le rouge-gorge palpitant.

« Et toi, s’écria Dragomira avec un rire effrayant, que viens-tu de faire, homme, toi, le maître et l’honneur de la création ? Tu as tué comme les autres ! Ce n’est partout que souffrance, sang versé, mort et anéantissement ! »

Ils arrivèrent à Bojary, sans s’être dit un mot de plus. À la porte, Zésim, étrangement ému, prit congé de sa compagne, et pendant qu’il regagnait la propriété de sa mère, à travers la brume du crépuscule du soir, des pensées troublantes voltigeaient autour de lui, comme de sombres chauves-souris. Le lendemain, dans l’après-midi, attiré comme par une force magique, il revint chez Mme Maloutine, et pour la première fois il trouva la porte ouverte. Une voiture, recouverte d’une bâche de toile et attelée de trois chevaux maigres, était dans la cour. Un petit juif en caftan noir était assis sur le banc, devant le fournil, au soleil, et comptait rapidement sur ses doigts crochus.

Zésim fit le tour de la maison en se glissant et regarda par la fenêtre ouverte dans la petite salle de réception. Il ne fut pas peu surpris de voir Dragomira devant la glace, Dragomira richement parée comme une jeune sultane, dans tout l’éclat éblouissant de sa beauté.

Une jupe à traîne, en soie d’un bleu mat, enveloppait sa personne, aux lignes d’une distinction royale, et laissait voir ses petits pieds chaussés de pantoufles rouges, brodées d’or. Une jaquette en velours cramoisi, digne d’une princesse et toute garnie de zibeline dorée, s’ajustait élégamment avec son cou orné de perles d’ambre jaune, avec ses bras magnifiques chargés de bracelets d’or, avec ses hanches élancées comme celles d’une amazone.

Ses cheveux blond doré, rassemblés en larges nœuds entrelacés de rangées de perles, faisaient comme un diadème sur cette tête admirable.

« Ah ! comme tu es belle ! » s’écria Zésim. Dragomira eut peur, rougit, puis pâlit, et jeta sur lui un long regard de reproche.

« Tu fais donc de la toilette quelquefois, continua-t-il, il n’y a que pour moi que tu n’en fais pas.

— J’essayais seulement quelque chose, dit Dragomira qui