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LA PÊCHEUSE D’AMES.

côté et servit Dragomira. Puis leur traîneau s’avança devant la porte du château, et les deux jeunes filles partirent pour Myschkow.

Le soleil était couché ; des brouillards gris, aux formes de spectres, montaient et se massaient autour du manoir. Elles entrèrent comme par la porte sombre et fumeuse de l’enfer.

Il n’y avait personne quand elles descendirent du traîneau.

La maison semblait dévastée par la mort. Le cocher appela ; il vint une vieille femme qui ouvrit la porte.

Pendant que le traîneau, sur l’ordre d’Henryka, continuait sa route vers Kiew et que le son de ses clochettes s’évanouissait dans le lointain, Dragomira faisait passer la novice à travers plusieurs chambres vaguement éclairées, et l’introduisait dans une petite salle dont les murs était nus et dont les fenêtres étaient fermées par des volets de bois. La vieille posa une lampe sur la table qui était dans un coin et disparut. Henryka remarqua alors une trappe ménagée dans le plancher, et un léger frisson lui parcourut le corps.

« Tu as peur, dit Dragomira tranquillement, si tu manques de courage, tu es encore à temps pour retourner sur tes pas. Je ne te force en rien.

— Non, je n’ai pas peur ; je te suivrai partout où tu m’ordonneras d’aller. »

Dragomira ordonna alors à sa victime d’ôter les riches vêtements et les bijoux qu’elle portait et de mettre une grossière robe grise de pénitente qui était toute prête sur une chaise. Puis elle leva la trappe et ordonna à Henryka de passer devant elle. Après avoir descendu une série de marches, elles se trouvèrent dans un caveau souterrain qui n’était que faiblement éclairé par une lampe. Dans un coin était une botte de paille, et près de cette botte un anneau de fer attaché au mur. Dragomira mit de lourdes chaînes aux mains et aux pieds d’Henryka qui tremblait, et l’attacha ensuite à l’anneau de la muraille.

« Prie et fais pénitence, dit-elle avec une sévérité impitoyable dans le regard et dans la voix. Je reviendrai quand il sera temps. »

Elle remonta rapidement l’escalier et ferma la trappe. Puis elle tira la corde d’une cloche et l’apôtre apparut.

« As-tu amené une nouvelle disciple ? demanda-t-il.

— Oui, elle est en bas ; elle vient de commencer sa pénitence.

— A-t-elle du courage ?