Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
198
LA PÊCHEUSE D’AMES.

peau d’ours et armée, meurt victorieuse et est retrouvée sur le champ de bataille par ses fidèles, qui la pleurent.

Une vraie tempête d’applaudissements accueillit ce tableau, qui dut être montré une seconde fois. On vit encore Kathinka en conductrice d’ours, et Bellarew en ours supérieurement dressé. Puis les musiciens accordèrent leurs instruments, et la danse commença par une polonaise que Monkony conduisit avec Mme Oginska. Le cortège, aux brillants costumes, se pliant et se dépliant comme un serpent gigantesque, suivait de salle en salle, de palier en palier, d’étage en étage.

Soltyk conduisait Anitta, pour sauver les apparences. Mais à peine la polonaise était-elle finie, qu’il alla rejoindre Dragomira, assise à moitié dans l’ombre, derrière une colonne.

« Quoi ! seule ?

— Je vous ai attendu, dit-elle.

— Qu’êtes-vous donc réellement, Dragomira ? un ange, un démon, une tigresse, une coquette ?

— Peut-être tout cela ensemble.

— Et que voulez-vous de moi ?

— Vous ne le savez pas encore ? »

Elle attacha sur lui un regard noble et calme, un regard de ces yeux mystérieux auquel nul cœur ne résistait.

« Non, je ne le sais pas.

— Je ne vous aimerai jamais, car je ne peux pas aimer, dit-elle, mais je veux que vous m’aimiez.

— Et si je vous aime, qu’arrivera-t-il ensuite ?

— Ensuite ?… Vous le saurez toujours à temps. »

On dansa toute la nuit jusqu’au matin. Cependant la tempête s’était calmée, et des milliers de paysans commencèrent immédiatement à creuser des tranchées dans la neige et à déblayer la route. Le soleil rougissait déjà les cimes couvertes de neige des peupliers qui entouraient le château de Romschin, lorsqu’on alla se reposer au milieu d’une nuit artificielle obtenue à l’aide de sombres rideaux et d’épaisses tapisseries. Quant aux jeunes gens, comme le leur avait annoncé Monkony, ils couchèrent dans la salle à manger, sur la paille.