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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— C’est vrai, répondit Zésim. Comment dois-je comprendre ce qu’on me raconte de toi ? Qu’est devenue la nonne de Bojary ?

— Eh bien, qu’est-elle donc devenue ?

— Une dame du monde.

— C’est toi qui le voulais.

— Une coquette triomphante.

— Naturellement.

— L’idole du comte Soltyk.

— C’est vrai aussi. Qu’est-ce qu’il y a encore ?

— Dragomira, veux-tu me faire souffrir, ou bien ne m’aimes-tu plus ?

— Tu es tout bonnement fou, dit-elle avec une grâce inimitable ; donne-moi le bras. »

Zésim obéit.

« Et si je veux ensorceler Soltyk, continua-t-elle, j’ai un but bien déterminé. Il n’est pas question d’amour dans tout cela.

— Prouve-le-moi en me prenant aujourd’hui pour ton cavalier.

— Volontiers. Cependant cela ne dépend pas de moi, mais du P. Glinski. »

Une fois entré, Zésim prit le jésuite à part et lui présenta sa requête. Celui-ci sourit finement.

« Je ne puis rien faire, répondit-il ; c’est le sort qui doit en décider.

— Si vous le voulez bien, mon révèrent père, le sort me sera favorable. »

Glinski sourit de nouveau et serra furtivement la main de Zésim.

Deux vases qui contenaient les billets du tirage furent apportés par des cosaques. Anitta et Dragomira furent chargées de tirer les billets qui devaient aller ensemble.

Le P. Glinski les lisait et les jetait dans un troisième vase, si bien que tout contrôle était impossible. Il arriva donc que Soltyk fut le cavalier d’Anitta et Zésim celui de Dragomira.

Quand les derniers billets eurent été ouverts, on se hâta de s’envelopper ; puis toute la brillante société descendit précipitamment l’escalier et monta dans les traîneaux. Il fallut quelque temps pour se mettre en route. En tête chevauchait un hérault vêtu de l’ancien costume polonais aux armes de Monkony. Venaient ensuite six trompettes et deux timbaliers, vingt cosaques, un grand traîneau avec un orchestre de musiciens ha-