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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Dragomira la considéra longtemps avec des yeux sérieux et tristes ; puis elle caressa légèrement de la main ses tresses brunes souples comme de la soie.

« Pauvre enfant, murmurait-elle, sais-tu seulement ce que tu désires ? La route que je suis est pénible et semée d’épines, riche en douleurs, riche en larmes. Éloigne-toi de moi ; je te le conseille.

— Non, non, dit Henryka d’une voix suppliante, je veux vivre et mourir à tes côtés.

— Toi, avec ce cœur si tendre ?

— Je veux être ta servante, ton écolière, ton alliée !

— Penses-y bien.

— Je le veux, Dragomira, je le veux.

— Soit, je te mettrai à l’épreuve.

— Mets-moi à l’épreuve.

— Écoute-moi donc. »

Henryka se redressa un peu, et, les bras appuyés sur les genoux de Dragomira, les yeux fixés sur ce visage froid et rayonnant, attendit avec émotion ce qu’elle allait dire.

« La première chose que tu dois apprendre, continua Dragomira, c’est l’humilité ; car l’orgueilleux ne peut pas comprendre Dieu et participer à son amour. Ce n’est que du plus profond abaissement que tu peux t’élever à la vraie croyance ; voilà pourquoi le Christ a choisi autrefois ses disciples parmi les pauvres et les petits. Ta vanité supportera-t-elle de rejeter ces riches vêtements, de renoncer aux ornements de ta chevelure ? Ton orgueil ne regimbera-t-il pas quand il te faudra servir chacun de tes frères et n’être servie par aucun ; quand il te faudra n’offenser personne et subir avec calme les offenses de tous pour l’amour de ton Sauveur ?

— Oui.

— Seras-tu obéissante, même quand les ordres qu’on te donnera te causeront de la honte et de la douleur ?

— Oui.

— Pourras-tu renoncer aux joies de ce monde ?

— Je suis prête à partir avec toi pour le désert.

— Si c’est là ta vraie et sérieuse résolution, Henryka, dit Dragomira avec la majesté d’une prêtresse, je consens à te nommer ma sœur au nom de Dieu, et tu devras me servir et m’obéir, jusqu’à ce que vienne le jour où tu auras assez fait pour Dieu et où il te recevra dans sa Nouvelle-Alliance. Et maintenant, je fais de toi ma servante. »