Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
181
LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Je vous en prie, mademoiselle, restons dans le sujet. Je n’ai pas à engager une dispute de mots. Ce serait un malheur pour nous tous si le mariage du comte et de Mlle Oginski n’avait pas lieu ; et en ce moment vous êtes un obstacle à ce mariage. Je ne m’y trompe pas ; voilà où en sont les choses ; aussi, je vous supplie de renoncer au comte.

— Comment puis-je renoncer à ce qui n’est pas à moi ? Le comte, jusqu’à présent ne m’a adressé aucune parole d’amour ; et soyez bien convaincu que s’il le faisait, je ne l’écouterais pas.

— Ce sont encore de pures défaites, mademoiselle ; vous ne voulez pas du tout me répondre directement. J’y vois mieux que vous ne le croyez, et je suis bien sûr maintenant que vous avez des desseins arrêtés sur le comte.

— Faites-moi grâce, je vous en prie, de vos imaginations, dit Dragomira d’un ton froid et sérieux ; je n’aime pas le comte ; cela suffit, ce me semble.

— Pardonnez-moi, noble demoiselle, vous me comprenez mal. Je ne crois pas que vous ayez de projets sur son cœur.

— Encore moins sur sa main, dit-elle fièrement.

— Non plus que sur sa main, reprit le P. Glinski ; vous avez d’autres desseins.

— Quels desseins ?

— Je veux être de bonne foi, dit le jésuite.

— Ce sera difficile avec cette robe, répliqua-t-elle en raillant.

— Je vous le dis sincèrement, continua Glinski, je ne vois pas clair dans les desseins dont vous poursuivez la réalisations ; mais ce dont je suis sûr, c’est que vous avez un but devant les yeux ; et j’ai le pressentiment que ce que vous réservez au comte n’est rien de bon.

— Si j’ai vraiment des projets, dit Dragomira avec un calme glacial, ne vous donnez pas tant de peine ; il est clair que je ne les abandonnerai pas si facilement.

— Voilà tout ce que je voulais savoir, reprit le jésuite ; vous avouez donc que vous un plan arrêté à l’égard du comte.

— De grâce… Vous me mettez dans la bouche vos propres pensées. Je n’ai rien dit.

— Encore des mots, je ne joue pas sur les mots. Je suis forcé de voir désormais en vous le mauvais ange du comte, et j’ai le devoir de mettre tout en œuvre pour l’arracher à votre puissance. Je veux son bonheur, tandis que vous…