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II

LA ROUTE DU PARADIS

Même quand je marcherais par la vallée de l’ombre de la mort, je ne craindrais aucun mal ; car tu es avec moi, Seigneur.
Psaum. XXIII, 4.

Une visite inattendue. Dragomira, la calme, la froide, la courageuse, ne put réprimer un tressaillement lorsque Barichar lui présenta la carte du P. Glinski. Elle se remit pourtant aussitôt et cria : « Entrez ! »

Barichar ouvrit la porte, et le jésuite s’approcha avec sa plus élégante révérence et son plus gracieux sourire.

« J’ai peur de vous importuner, dit-il, pendant que Dragomira s’asseyait sur un divan, et, d’un geste vraiment royal de sa main, l’invitait à prendre place près d’elle, mais l’intérêt qui m’amène est si sérieux, si important, pour ne pas dire si sacré, que j’ose compter sur votre pardon. Il s’agit du bonheur de mon cher comte, de celui que j’ai élevé, de celui que je considère comme mon enfant. »

Le P. Glinski fit une pause ; il attendait une question, une objection qui lui eût facilité le moyen d’arriver au véritable but de sa visite. Mais Dragomira ne vint nullement à son aide ; elle le regardait, au contraire, avec une certaine indifférence distraite qui semblait dire : « En quoi votre comte peut-il m’intéresser ? »

Le P. Glinski se passa la main droite sur la main gauche, puis la main gauche sur la main droite.

« Vous devinez bien, noble demoiselle, dit-il, de quoi il s’agit ?