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LA PÊCHEUSE D’AMES.

sée à Soltyk, et confia à un facteur juif celle qui était destinée à Zésim.

Le comte était au théâtre avant le commencement de la représentation, et attendait avec impatience au pied de l’escalier qui conduisait aux loges. Son regard effleurait à peine les amis et les dames élégantes qui arrivaient. Mais lorsqu’il aperçut Dragomira à l’entrée du vestibule, son cœur se mit à battre avec impétuosité, et ses yeux restèrent fixés comme par l’effet d’un charme sur cette taille souple et élancée, sur cette tête entourée et illuminée de cheveux blonds.

Celle que Soltyk attendait avec une si ardente impatience était venue accompagnée de Cirilla qui s’était habillée avec un luxe à l’ancienne mode et représentait fort bien une dame de la noblesse de campagne. Soltyk se contenta d’ôter son chapeau, de saluer profondément et de dévorer des yeux Dragomira. Celle-ci de son côté lui fit un petit signe de tête avec une amabilité pleine d’aisance et passa devant lui comme devant une simple connaissance.

Zésim, qui était assis au parquet, vit Dragomira entrer dans sa loge et ôter son manteau de théâtre, tout brodé d’or scintillant. Elle resta debout un instant contre le rebord, et tous les regards se dirigèrent sur elle. En même temps le comte la contemplait avec une admiration muette.

« Où a-t-elle appris, pensait-il, à s’habiller ainsi ? Je sais pourtant qu’elle n’a pas été à Paris. »

Et, en effet, Dragomira était ravissante dans sa robe de soie brochée couleur héliotrope, richement garnie de dentelles jaune-pâle. La parure, merveilleusement simple, consistait en un petit bouquet de violettes naturelles, placé dans ses cheveux d’or et un autre attaché à son corsage.

Après le premier acte Zésim voulut lui rendre visite, mais le comte le prévint. Avec une fureur concentrée le jeune et bouillant officier le vit entrer dans la loge et porter à ses lèvres la main que Dragomira lui tendait en souriant. La conversation animée qui s’établit ensuite entre Dragomira et Soltyk augmenta de minute en minute le supplice de Zésim.

« Que se passe-t-il donc en moi ? se demandait-il ; je crois que je suis jaloux. »

Tous les doutes qu’Anitta avait remués en lui, toutes les sombres pensées que d’ordinaire un regard de Dragomira domptait et endormait, se réveillèrent et reprirent leur puissance.