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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Il faut que je vous avertisse, lui dit tout bas le P. Glinski ; la sultane est Mlle Maloutine. Avez-vous vu comme elle échangeait avec ce jeune officier des poignées de main et des paroles tout à fait tendres ?

— Après, après ?

— Vous êtes au moment de tomber dans les filets d’une coquette.

— Cette fois votre connaissance des hommes fait fausse route, reprit le comte d’un ton railleur, elle est au contraire froide comme glace.

— Mais je sais que Jadewski va chez elle.

— Sessawine aussi.

— Et elle se joue de tout le monde.

— Tant mieux.

— Il n’y a pas moyen de vous sauver, je le vois.

— Si les abîmes de l’enfer étaient aussi beaux que cette Dragomira, cher Père, le ciel resterait vide et vous-même finiriez par rendre votre âme au diable. »

Soltyk le quitta en riant et se mit aussitôt à la recherche de la sultane qui avait brusquement disparu dans le tourbillon des masques. Il la trouva à l’entrée de la petite salle qui figurait l’Asie. Elle semblait l’attendre.

« C’est ici ton empire, dit-il en s’inclinant devant elle ; ton esclave peut-il entrer avec toi ? »

Il releva la portière et la suivit dans le petit salon décoré avec toute la somptuosité de l’Orient.

Des tentures persanes d’une rare magnificence, brodées d’or et d’argent, tombaient en plis larges et lourds et figuraient les parois, le plafond, les fenêtres et les portes d’un pavillon dont le sommet était formé par un croissant d’or constellé de pierreries. Le sol de cette mystérieuse retraite était couvert d’un tissu de l’Inde, blanc et souple comme du duvet ; le pied s’y enfonçait comme dans la neige nouvellement tombée. Une seule lampe, à globe rouge, étaient suspendue au plafond comme un rubis lumineux d’une grosseur fabuleuse. Çà et là étaient des coussins qui invitaient au repos, à la rêverie, à l’amour. Un parfum étrange et subtil embaumait l’air et troublait les sens comme une caresse.

Dragomira s’assit sur le divan placé au milieu du pavillon aux couleurs chatoyantes. Elle était sur une peau de panthère, et ses pieds reposaient sur la tête majestueuse d’un tigre.