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LA PÊCHEUSE D’AMES.

« Je te salue, Zésim Jadewski, dit-elle, pourquoi donc baisses-tu ainsi la tête, aujourd’hui ?

— Je n’ai guère de motifs d’être joyeux.

— Il y a bien des moyens de chasser les soucis, en voici justement un des meilleurs. »

La belle sultane prit un verre de vin sur le buffet, y trempa ses lèvres et le présenta à Zésim.

— Que me donnes-tu ? Un doux poison, un philtre ?

— J’arriverais trop tard.

— À ta santé ! »

Zésim vida le verre.

« Maintenant, un deuxième moyen.

— Lequel ?

— Fais-moi la cour.

— Je n’en aurais pas le talent.

— Parce que tu aimes ?

— Peut-être.

— Il y a ici deux dames à qui tu as donné ton cœur. À laquelle appartient-il maintenant ?

— Tu me questionnes comme un inquisiteur. »

La sultane se mit à rire, tout doucement, mais ce rire argentin suffit à la trahir.

« Maintenant je te connais. »

Elle rit de nouveau.

« Tu es Dragomira. »

Une petite main saisit rapidement la sienne et un souffle doux et tiède effleura sa joue.

« Ne me trahis pas ; on nous observe ; le comte Soltyk est là ; je veux lui parler et lui faire peur. »

En effet, le comte se tenait à l’entrée, et ses yeux sombres, pleins d’une flamme diabolique, étaient arrêtés sur la belle personne, qui murmurait coquettement à l’oreille de Zésim. L’envie et la jalousie bouleversaient le cœur de Soltyk et faisaient bouillonner son sang indomptable. En même temps, d’autres yeux se dirigeaient sur le couple occupé à chuchoter, mais ceux-là étaient timides, tristes et pleins d’angoisse. C’était Anitta qui avait aussi reconnu Dragomira et qui tremblait pour son bien-aimé.

La sultane avait déjà congédié Zésim et se préparait à aller trouver Soltyk, lorsque le jésuite la prévint et entraîna rapidement le comte avec lui.

« Qu’avez-vous ? demanda Soltyk.